Vidéo. Algérie: le chef de l'armée menace la rue

Ahmed Gaïd Salah garde son poste de vice-ministre à la Défense.

Ahmed Gaïd Salah garde son poste de vice-ministre à la Défense. . DR

Le chef de la puissante armée a promis mercredi de veiller sur la transition mais mis en garde les Algériens contre la poursuite des manifestations antirégime, au lendemain de la nomination contestée, comme président par intérim, d'Abdelkader Bensalah, un cacique du "système" Bouteflika.

Le 10/04/2019 à 16h21

Peu après sa nomination par le Parlement, conformément à la Constitution, Bensalah a promis un scrutin présidentiel "transparent" d'ici trois mois. En dépit de cet engagement, le président du Conseil de la Nation (chambre haute du Parlement) depuis 17 ans, assimilé au long règne d'Abdelaziz Bouteflika, reste rejeté par la rue et a fait face, mercredi, à de nouvelles manifestations ainsi qu'à un appel à une grève nationale.

Tout en s'engageant, lui aussi, à ce que l'armée veille à la "transparence" et à "l'intégrité" du processus de transition, le chef d'état-major, le général Ahmed Gaïd Salah, a de son côté haussé le ton: il a écarté catégoriquement le principe d'un "vide constitutionnel", dans une apparente fin de non-recevoir aux revendications d'un départ du "système" et la mise sur pied d'institutions ad hoc.

Il existe dans les manifestations des "slogans irréalistes visant à (...) détruire les institutions de l'Etat", a déploré le général Gaïd Salah, au centre de l'échiquier politique en Algérie depuis ses prises de parole ayant abouti à la démission d'Abdelaziz Bouteflika le 2 avril, après des semaines de manifestations.

Le chef d'état-major, qui se trouvait en déplacement à Oran (nord-ouest), est allé plus loin en mettant en garde contre des "tentatives de la part de certaines parties étrangères" de "déstabiliser le pays", sans les identifier.

En matinée, des milliers de manifestants, enseignants, étudiants, médecins, gardés par un important dispositif policier, se sont à nouveau rassemblés près de la Grande poste à Alger, coeur de la contestation qui ébranle le pays depuis sept semaines.

"Dégage Bensalah!", "Une Algérie libre!", ont scandé les participants.

Des manifestations ont également eu lieu dans d'autres villes, notamment à Bouira (sud-est) et Tizi Ouzou (est).

Des appels à reprendre la rue avaient essaimé sur les réseaux sociaux dès la veille, après l'entrée en fonctions de Bensalah comme président par intérim.

Les Algériens ont clairement affiché leur refus de voir cette tâche confiée à Bensalah, 77 ans. Partisan d'un 5e mandat de Bouteflika il y a deux mois, il est pour eux une incarnation du régime rejeté par la rue.

Mardi à Alger, pour la première fois depuis le début du mouvement pacifique, la police a tenté de disperser les quelque milliers d'étudiants qui manifestaient à l'aide de grenades lacrymogènes et de canons à eau.

"C'est un viol de notre droit à manifester", estime Asma, 22 ans, étudiante en journalisme. "On va continuer, tous les jours s'il le faut, jusqu'à ce que le dernier du clan (au pouvoir) soit dehors".

Mais les regards sont aussi tournés vers vendredi, traditionnel jour de manifestations hebdomadaires depuis plus d'un mois pour des millions d'Algériens qui promettent de retourner dans les rues en masse pour demander le départ de Bensalah et la fin du "système".

Pour le professeur Mohamed Hennad, enseignant en sciences politique à l'Université d'Alger, "le rapport de force sera en faveur de la rue si la mobilisation de vendredi est importante".

Faut-il craindre un raidissement du pouvoir? Pour le Quotidien d'Oran, l'arrivé au pouvoir d'Abdelkader Bensalah, malgré la contestation de la rue, est un "prélude à un changement de position des autorités vis-à-vis des manifestants".

"Il y a comme un air de retour de bâton politique contre tous ceux qui veulent dorénavant s'opposer au cours naturel des événements", met en garde l'éditorial.

Le quotidien El Moudjahid, traditionnel vecteur de messages du pouvoir, estime pour sa part que l'arrivée de Bensalah signifie que "le cap de l'organisation de l'élection présidentielle, dans les délais constitutionnels, a été maintenu".

Au terme de la période de transition qui devra durer 90 jours maximum, Abdelkader Bensalah est chargé d'organiser une élection présidentielle. En vertu de la Constitution, il ne peut pas être candidat.

Quelques heures après avoir pris ses nouvelles fonctions mardi soir, il s'est engagé à organiser "un scrutin présidentiel transparent et régulier", dans un discours à la Nation.

"Bensalah, c'est un déchet du système, on n'a pas confiance. Pendant 20 ans, ils nous ont fait des promesses: résultat, ils ont tout pris et ils ont laissé le peuple pauvre", lance Lahcen, 26 ans, qui travaille dans un café d'Alger pour 25.000 dinars par mois (180 euros). "On veut une élection libre et réellement démocratique".

Pressions, corruption, listes truquées, les scrutins en Algérie sont régulièrement entachés de soupçons de fraudes dans un système électoral opaque, ultra favorable au partis et candidats du "système".

"Bouteflika est parti mais le système est resté", dit Achir, 56 ans, qui tient une de ces échoppes où on trouve de tout, bonbons, boissons, cigarettes dans une ruelle d'Alger. Du haut de son tabouret, derrière le comptoir, il dit "attendre que la jeunesse prenne le pouvoir".

Le 10/04/2019 à 16h21