Ce palace de 500 chambres a rouvert dimanche 11 février, trois mois après sa fermeture au public. Ses premiers clients étaient curieux de retrouver des signes de l'incarcération entre ses murs de dizaines de princes, ministres et hommes d'affaires, dans le cadre d'une purge anticorruption sans précédent.
"La seule différence, c'est que les portes d'entrée sont ouvertes", assure un employé aux clients. "J'imagine que la liste des invités est aussi très différente", répond un diplomate occidental assis dans le hall d'entrée.
Nombre des 381 suspects passés par l'hôtel, dont le prince milliardaire Al-Walid ben Talal, ont été libérés après des "arrangements" financiers avec les autorités. Parmi les autres détenus de haut rang figuraient l'ancien chef de la Garde nationale, le prince Miteb ben Abdallah, le magnat du BTP, Bakr ben Laden, et celui des médias, Walid al-Ibrahim.
Selon de nombreux partenaires commerciaux des suspects, chaque détenu s'est vu attribuer une chambre avec télévision, mais sans accès à internet ou au téléphone pour empêcher tout contact avec le monde extérieur. Des objets tranchants et des cordons de rideaux ont également été retirés pour empêcher les tentatives de suicide.
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Dimanche, tous les services étaient disponibles dans une chambre de luxe du huitième étage où un journaliste de l'AFP a séjourné. Il était impossible de savoir si l'un des détenus y était passé, ou si la chambre avait été rénovée. Selon le site internet de l'hôtel, bon nombre des détenus les plus en vue auraient résidé dans des suites royales, qui comprennent une chambre à coucher, une cuisine, une salle à manger et un salon.
Le personnel semble avoir reçu pour instruction de ne pas parler aux journalistes de l'ambiance pendant la purge lancée par le puissant prince héritier Mohammed ben Salmane. Pour éviter de répondre aux questions, un membre du personnel affirme qu'il était en vacances durant les trois mois. Un autre confie qu'il était présent mais refuse d'en dire plus, sous le regard attentif de ses supérieurs.
Lorsqu'on lui demande comment la répression a affecté l'image de marque de l'hôtel -largement qualifié de "prison dorée"- un responsable élude, qualifiant la question de "trop sensible".
L'AFP n'a pas été autorisée à filmer à l'intérieur de l'établissement. Mais le responsable des relations publiques lui a fait visiter le bowling et la piscine intérieure extravagante avec un plafond bleu ciel peint de nuages de neige. L'hôtel était en grande partie vide mais le café du hall d'entrée a vu défiler quelques familles saoudiennes qui prenaient des selfies.
Parmi les rares clients figurent des hommes d'affaires étrangers qui avaient été forcés de se rendre dans d'autres hôtels dans la nuit du 4 novembre, lorsque le Ritz-Carlton avait été réquisitionné. "C'est bon d'être de retour", se félicite un consultant occidental qui se souvient avoir été contraint de quitter l'hôtel. "On nous a soudainement dit: nous avons un événement, vous devez déménager".
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Le gouvernement n'a pas révélé les noms de tous les 381 suspects, ni les charges ou la nature des règlements, ce qui n'a pas manqué d'alarmer les investisseurs internationaux.
"Alors que le Ritz rouvre ses portes avec un buffet gastronomique somptueux et une mise à niveau des services, il faudra plus qu'une nouvelle couche de peinture pour convaincre les investisseurs que le royaume du prince Mohammed est tout à fait en sécurité", affirme à l'AFP Andrew Bowen, un universitaire de l'American Enterprise Institute.
Mais les partisans de la purge estiment qu'elle a atteint son objectif, à savoir provoquer un "changement de comportement" au sein de l'élite, considérée comme une incarnation vivante de la corruption.
La "répression" a également incité les Saoudiens à se ranger derrière le programme de réformes du prince Mohammed, "Vision 2030", destiné à atténuer la dépendance du pays au pétrole, estime un diplomate occidental, selon lequel "la peur est plus forte que le ressentiment".