La révélation a été faite par un canal improbable, celui de deux experts de l'ONU, basés à Genève, ayant eu accès à des informations "qui suggèrent la possible implication" du prince saoudien Mohammed ben Salmane dans l'opération.
Il y a près d'un an, Jeff Bezos avait mis en cause l'Arabie Saoudite après la publication par l'hebdomadaire à scandale National Enquirer de textos passionnés échangés entre le PDG d'Amazon, qui était encore marié, et sa maîtresse.
Dans un langage parfois crypté, l'homme le plus riche du monde insinuait que le propriétaire du National Enquirer, American Media Inc (AMI), s'en serait pris à lui avec la complicité des autorités saoudiennes.
A l'origine de ce montage, la colère du Royaume contre les articles du journaliste saoudien Jamal Khashoggi, critiques du régime et publiés dans le Washington Post, dont Jeff Bezos est propriétaire.
L'analyse du téléphone de Jeff Bezos, à laquelle ont eu accès Agnes Callamard, rapporteuse sur les exécutions extrajudiciaires, et David Kaye, rapporteur sur la liberté d'expression, laisse penser, selon eux, à l'implication directe de "MBS" dans l'affaire.
En mai 2018, le prince héritier, qui avait échangé son numéro avec le fondateur d'Amazon quelques semaines plus tôt, a envoyé, via l'application WhatsApp, un fichier contenant vraisemblablement un virus, selon l'enquête.
D'importantes quantités de données ont alors été extraites du smartphone, probablement à l'aide d'un logiciel dont le modèle est régulièrement utilisé par les services de renseignement saoudiens.
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En mars, un enquêteur engagé par Jeff Bezos avait conclu à l'existence d'un lien entre le piratage supposé du téléphone, qu'il attribuait déjà aux Saoudiens, et les textos et photos qui se seraient retrouvés en possession du National Enquirer.
Loin de jouer la discrétion, le prince héritier aurait ensuite envoyé à l'homme le plus riche du monde plusieurs messages contenant "des informations privées et confidentielles sur la vie privée de Jeff Bezos, qui n'étaient pas accessibles publiquement", selon les deux rapporteurs des Nations unies.
Des communications faites entre novembre 2018 et février 2019, soit après le meurtre de Jamal Khashoggi, le 2 octobre 2018 au consulat saoudien d'Istanbul, indiquent les enquêteurs, qui relèvent que le Washington Post avait publié plusieurs articles d'investigation sur le prince héritier.
Le piratage présumé "exige une enquête immédiate de la part des autorités américaines et des autres autorités compétentes", ont exhorté les experts, qui sont mandatés par le Conseil des droits de l'Homme des Nations unies mais ne s'expriment pas au nom de l'ONU.
Ils demandent que l'enquête porte notamment sur "l'implication directe et personnelle du prince héritier dans les efforts visant à cibler les opposants présumés".
Qualifiant ces allégations d'"absurdes", l'ambassade d'Arabie saoudite à Washington a elle aussi demandé une enquête "afin que toute la lumière soit faite sur ces faits".
"Nous sommes au courant des informations publiées dans les médias et nous sommes préoccupés par ces allégations", a réagi auprès de l'AFP un responsable du département d'Etat américain.
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Egalement contacté par l'AFP au sujet de l'ouverture possible d'une enquête, un porte-parole du ministère américain de la Justice a indiqué être aussi "au courant" des informations publiées mercredi mais n'avoir "aucun commentaire".
Pour les rapporteurs de l'ONU, cette affaire "renforce les informations faisant état d'un programme de surveillance ciblée des personnes perçues comme étant des opposants et de celles qui revêtent une importance stratégique" aux yeux de Ryad.
En décembre un tribunal saoudien a exonéré l'entourage de Mohammed ben Salmane de toute responsabilité dans le meurtre de Khashoggi, un verdict largement décrié comme une parodie de justice dans le monde, à l'exception de Washington.
La CIA comme l'envoyée spéciale des Nations unies Agnès Callamard, qui avait déjà été mandatée par le Conseil des droits de l'Homme pour enquêter sur les circonstances de la mort du journaliste, ont directement lié le prince Mohammed ben Salmane au meurtre, ce que dément avec véhémence le Royaume.