Abdelmoumen Ould Kaddour, nommé ce lundi 20 mars à la tête de la Sonatrach, soulève de nombreuses questions. Non pas parce que le nouveau PDG de la «cash machine» de l’Algérie traîne des casseroles judiciaires. Mais parce qu'à travers cette nomination, le clan Bouteflika renforce sa poigne sur la «mamelle de l’Algérie» (jusqu'à 60% des recettes de l’Etat algérien). En réalité, tout ceci entre dans le cadre d'un plan, préparé depuis longtemps.
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Explication: le nouveau patron de Sonatrach, Abdelmoumen Ould Kaddour, est un proche de l’ancien ministre de l’Energie et des mines (1999-2010), Chakib Khelil, ami d’enfance et éternel «homme de confiance» du président Bouteflika (ils sont tous deux nés à Oujda). Une amitié à toute épreuve, puisque l'ex-tout puissant ministre des Finances et PDG de la Sonatrach aurait pu croupir en prison, n’eût été l’intervention de Bouteflika himself pour le réhabiliter et, du coup, permettre son retour en Algérie en mars 2016, après trois ans d’exil aux Etats-Unis, où il s’est rendu en 2014 pour se soustraire à une décision judiciaire le mettant en cause dans une affaire de corruption du temps où il présidait aux destinées de la Sonatrach (2001-2003).
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Chakib Khelil est en effet la figure emblématique du pillage systématique de la Sonatrach par le clan présidentiel. Devant le juge du pôle financier du tribunal d’Alger et les officiers du Département du renseignement et de la sécurité (DRS), à l’origine d’une vaste enquête anticorruption lancée en 2010 par les hommes du général Mohamed Lamine Mediene, alias «Tewfik», il a été nommément accusé d’avoir trahi le pays et élaboré la loi sur les hydrocarbures, durant les premiers mois de l’année 2000, sous la dictée des grands groupes de la pègre pétrolière internationale.
Rab Dj'zair : le Dieu de l'Algérie
Le clan Bouteflika s’était senti lui-même visé par l’enquête ordonnée par le général «Tewfik» qui, faut-il le préciser, était opposé à un 4e mandat pour le président Bouteflika (mars 2014). En guise de revanche, Abdelaziz Bouteflika, réélu pour la 4e fois consécutive en mars 2014, entreprend, une année plus tard, un patient processus d’effeuillage du DRS, à la faveur d’une purge qui a concerné les proches collaborateurs du général «Tewfik», surnommé «Rab djzaïr» (Dieu de l'Algérie). Même le tout-puissant patron du DRS sera «débarqué» en décembre 2015 par le locataire du palais El Mouradia, qui voulait à tout prix se débarrasser de ce département de renseignement qui pouvait se targuer, jusqu’il y a peu, de contrôler le géant pétrolier algérien, Sonatrach. Ce département gênant a été simplement dissous courant 2016, pour être remplacé par le fameux DSS (Département des services de sécurité), à la tête duquel a été nommé un fidèle proche de Bouteflika, en l’occurrence le général Athmane Tartag (ancien patron de la brigade antiterroriste relevant du même DRS).
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Peu de temps après la dissolution du DRS, le clan Bouteflika récidive en portant à la tête de la Sonatrach un proche du même Chakib Khelil, proposé peut-être à la succession du président Bouteflika. Avec cette nomination, le clan Bouteflika aura fait d’une pierre deux coups: s’assurer le contrôle de la Sonatrach, le nerf de la guerre, et un successeur potentiel au président malade.
30 mois de prison pour espionnage
Cette question se pose d'autant plus que Abdelmoumen Ould Kaddour, lui-même, est un personnage controversé. En effet, comment peut-on nommer à un poste aussi stratégique un homme qui a été condamné par la justice algérienne pour espionnage et dont la seule société qu'il a réellement dirigée a été soupçonnée de corruption ?Un bref rappel s'impose pour mieux cerner le nouveau PDG de la Sonatrach et comprendre qu'il s'agit de l'épilogue d'une véritable lutte d'influence. Abdelmoumen Ould Kaddour est coopté par son mentor Chakib Khelil pour lui confier Brown and Rooth Condor (BRC), une joint-venture détenue par Sonatrach à 51% et par Halliburton (une société américaine) à 49%. Au passage, il faut rappeler que Halliburton a été longtemps dirigée par Dick Cheney, vice-président américain (2001-2009), qui a été accusé de bénéficier de gros marchés avec les armées US, sans appel d'offres.
Le site d'information algérien lematindz.net rapporte que "BRC, qui a servi de tirelire à bien des pontes américains et algériens, s’occupait de tout et de rien, bénéficiant de marchés allant de l'engineering pétrolier à la construction d'hôpitaux ou de stades de football! Toutes les prestations de BRC étaient surfacturées." Ce site ajoute que Sonatrach, sous Chakib Khelil avait confié, illégalement, vingt-sept projets à BRC signés de gré à gré.
Le site d'information algérien donne davantage de précisions: "BRC fut amenée à acheter, en 2004, du matériel sophistiqué destiné à l'armée algérienne, achat effectué auprès de la firme américaine Raytheon, pour un montant de 1,5 milliard de dollars."
Ce matériel, sous forme de «mallettes bourrées d’électroniques», était supposé permettre aux hauts gradés algériens de communiquer entre eux et de donner des ordres en toute sécurité. Or les services de renseignement russes ont prévenu leurs homologues algériens que les mallettes acquises à 1.5 milliard de dollars étaient connectées aux services d’écoute de la CIA. Ce qui a valu au nouveau PDG de la Sonatrach d’être traduit devant un tribunal militaire de Blida et ensuite condamné pour intelligence avec une puissance étrangère et trahison. Il écope de 30 mois de prison ferme pour «divulgation d’informations classées secret défense». Il sortira de prison en mars 2009, à la faveur d'une libération conditionnelle. Pour étouffer le scandale, Bouteflika a ordonné la dissolution de ladite société en 2007, au moment où Abdelmoumen chutait pour espionnage.
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94% des recettes d'exportations algériennes
Quoi qu'il en soit, la nomination d'un homme au casier judiciaire bien garni montre clairement qu'il y a des accointances politiques. Après avoir écarté l'ex-chef des renseignements algériens, "Tewfik", le clan Bouteflika met véritablement la main sur l'unique machine à cash et poumon économique de l'Algérie. Il suffit de jeter un œil sur les chiffres pour comprendre que c'est bien de cela qu'il s'agit. En effet, la Sonatrach réalise entre 93 à 97% des exportations du pays. Par exemple, en 2016, sur les 28,88 milliards de dollars d'exportations, 27,1 ont été facturés par la Sonatrach et ses filiales, soit 93,83% du total. La Sonatrach, c'est également quelque 40 à 60% des recettes budgétaires, voire plus, puisqu'il faut rappeler que le Fonds de régulation des revenus (FRR) qui permet de suppléer les revenus en cas de coup dur est également alimenté par la Sonatrach.
Avec la nomination de ce très proche de Chakib Khelil et du clan Bouteflika, on est fondé de se poser quelques questions sur le plan bien organisé pour dissoudre le DRS et la retraite forcée de son patron Tewfik. Et s’il n’y avait pas seulement une lutte de pouvoir au centre de ce bras de fer qui a tourné à l’avantage de Bouteflika? On aura compris combien Sonatrach est vitale pour l’Algérie. Cette entreprise était surveillée de très près par les services algériens, parce qu’elle génère la quasi-totalité des devises du pays et plus de la moitié des recettes de l’Etat. Pour pouvoir la contrôler, il fallait mettre hors course Tewfik et ses hommes les plus proches comme le général Hassan, jeté en prison.
D’où l’hypothèse : et si la mise à l’écart de Tewfik avait aussi pour fin la mise en coupe réglée de Sonatrach par le clan de Bouteflika? En tout cas, rien ne s’y oppose maintenant. Et l’appétit du clan a beau être bien grand, il peut être assouvi abondamment tant que le président est maintenu en poste.