Trois semaines après leur entretien à Téhéran, le chef de l'Etat turc retrouve son homologue russe à Sotchi, sur les bords de la mer Noire, fort de son récent succès diplomatique qui a favorisé l'accord international sur la reprise des exportations de céréales ukrainiennes via le Bosphore.
A Téhéran, le mois dernier, il a été clairement mis en garde par le président russe contre toute nouvelle opération militaire en Syrie visant à repousser les combattants kurdes du PKK, le Parti des travailleurs du Kurdistan et ses alliés.
Pour les analystes, ces tensions récurrentes font partie de la «coopération compétitive», qui définit la relation entre les deux dirigeants depuis vingt ans.
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«La guerre de la Russie contre l'Ukraine a restauré l'image que la Turquie veut donner d'elle-même, celle d'un acteur géopolitique-clé, et redonné de a visibilité à Erdogan», écrivait récemment Asli Aydintasbas, membre du Conseil européen des relations étrangères.
Pour elle, «la plupart des Turcs soutiennent la position de leur pays de quasi-neutralité entre l'Est et l’Ouest».
Négocier une trêveLa volonté de la Turquie, quoique membre de l'Otan, de rester neutre face à Moscou au sujet de l'Ukraine commence à porter ses fruits.
Après des mois d'efforts, Moscou et Kiev ont signé à Istanbul un accord soutenu par l'ONU: la première expédition de maïs au départ d'Odessa depuis le début de la guerre le 24 février a permis de ravitailler le Liban et d'autres suivront, soulageant les craintes de crise alimentaire mondiale.
La Turquie veut maintenant tenter d'obtenir l'ouverture de négociations en vue d'une trêve, entre le président russe et l'Ukrainien, Volodymyr Zelensky, si possible à Istanbul.
«Nous avons discuté (pour voir) si l'accord sur les céréales pouvait être l'occasion d'un cessez-le-feu durable», a déclaré mercredi dernier le ministre turc des Affaires étrangères Mevlüt Cavusoglu après une rencontre avec son homologue russe Sergueï Lavrov en Asie.
Mais ces efforts sont compliqués par les menaces répétées d'Ankara d'opération militaire en Syrie, où les intérêts russes et turcs s'entrechoquent.
Moscou a largement soutenu le président syrien Bachar al-Assad face à des groupes soutenus en partie par la Turquie.
Aujourd’hui, Erdogan veut de nouveau traverser la frontière pour établir une zone de sécurité dans une région où patrouillent déjà les troupes russes et leurs affidés, mais d'où il veut chasser les groupes kurdes qu'il considère comme des «terroristes».
«Il est probable que la réunion (de vendredi) portera sur une éventuelle incursion en Syrie, pour laquelle la Turquie n'a pas obtenu le feu vert de la Russie ou de l’Iran», remarque le spécialiste en relations internationales Soli Ozel, de l'Université Has d'Istanbul. «La Russie devrait obtenir quelque chose en retour», estime-t-il.
Jeu de patiencePour certains médias turcs, ce que veut vraiment Vladimir Poutine ce sont des drones.
Ankara a fourni à l'Ukraine ses fameux drones de combats Bayraktar-TB2 à l'efficacité prouvée face aux chars russes.
Selon des responsables américains, une délégation russe s'est rendue en Iran pour envisager l'achat de centaines de drones. Et Erdogan lui-même a rapporté à son retour de Téhéran une demande de Poutine en ce sens. Une confidence corrigée par un responsable turc assurant que le président plaisantait.
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Mais le porte-parole du Kremlin Dmitry Peskov a donné corps à l'idée, en assurant que «la coopération militaire et technologique figure toujours à l'agenda des deux pays». Reste enfin une possible source de tension entre les deux présidents, connus pour leurs retards chroniques.
A Téhéran, Erdogan a fait patienter Vladimir Poutine seul, pendant 50 secondes, debout dans une pièce sous la caméra de l'agence de presse officielle turque centrée sur son visage tendu.
Pour beaucoup, c'était la riposte du président turc au retard que lui avait infligé le patron du Kremlin, près de deux minutes durant, en 2020.