"Cela fait plus d'un an que je n'avais pas vu ma famille", soupire Mohamed, installé dans le jardin de sa maison à Binnish, petite ville de la province d'Idleb (nord-ouest), frontalière de la Turquie.
A ses côtés, ses parents et son frère plaisantent avec des proches venus célébrer l'Aïd al-Adha, la grande fête musulmane du sacrifice. De temps en temps, on s'interrompt pour parler au téléphone avec une des filles de la famille, installée dans le Golfe.
Comme Mohamed, plus de 40.000 réfugiés syriens vivant en Turquie ont profité de l'Aïd pour rentrer chez eux, dans des régions où les combats connaissent une accalmie.
Mais la question du retour définitif ne se pose pas. Malgré le calme relatif qui règne dans certaines provinces près de la frontière turque, la guerre qui ravage la Syrie depuis six ans a détruit les infrastructures, paralysé l'économie et la menace d'une reprise des combats n'est jamais loin.
Habituellement, Ankara garde la frontière fermée toute l'année, autorisant seulement le transfert d'aide humanitaire vers la Syrie. Mais à l'occasion des grandes fêtes religieuses, comme Aïd al-Adha ou Aïd el-Fitr, qui marque la fin du ramadan, les civils peuvent eux aussi passer.
Les autorités turques ont ainsi mis en place un système spécial qui leur permet de s'enregistrer sur un site internet dédié. Ils seront autorisés à revenir en Turquie, à condition de rentrer d'ici le 15 octobre.
"Ici, c'est le chaos"
"J'ai prévu de rester 10 jours", témoigne Mohamed, diplômé en ingénierie de l'université d'Alep (nord de la Syrie) et aujourd'hui employé par un fournisseur d'accès internet à Reyhanli, ville turque près de la frontière.
Chassés par le conflit qui a débuté en 2011 après la répression meurtrière par le régime de Bachar al-Assad de manifestations prodémocratie, près de trois millions de Syriens se sont réfugiés en Turquie et la plupart se sont installés dans les villes.
"Vivre dans son pays, c'est mieux que d'émigrer, mais on n'a pas vraiment le choix", soupire Mohamed, 26 ans. "Ici, malheureusement, c'est le chaos".
"Si tu veux revenir, il faut trouver du travail", explique-t-il. "Le calme ne suffit pas. Si la sécurité revient, mais qu'il n'y a pas d'opportunités de travail, on va continuer à chercher l'endroit qui nous offre un gagne-pain", ajoute-t-il.
Nombre de réfugiés rejoignent les villes d'Al-Bab et de Jarablos, dans le nord-ouest de la Syrie, qui connaissent une stabilité relative depuis une offensive turque qui a permis de chasser les jihadistes du groupe Etat islamique (EI).
Beaucoup d'autres retrouvent la province frontalière d'Idleb, principalement contrôlée par les jihadistes de Tahrir al-Cham (ancien front al-Nosra et ancienne branche d'Al-Qaïda) et où ont également trouvé refuge de nombreux rebelles opposés au régime du président Assad.
Le rêve du retour
Yaman al-Khatib, jeune journaliste de 27 ans, a installé sa femme et leur jeune fils en Turquie, et parvient, de manière clandestine, à faire des allers-retour réguliers entre la province turque d'Antakya et Idleb.
"Vu que toute la Syrie est en guerre, j'ai pensé que la Turquie était l'endroit le plus sûr pour la famille", précise le jeune homme originaire d'Alep. Cette ville du nord a été reprise entièrement par les forces du régime après avoir été longtemps divisée en secteurs rebelle et progouvernemental.
"J'espère revenir définitivement en Syrie, c'est le rêve de n'importe quelle famille", soupire-t-il. "Mais le manque de sécurité constitue un obstacle au retour. Et puis il n'y a pas d'eau, ni d'électricité" déplore-t-il.
Chez la famille de Rahaf, installée en Turquie depuis cinq ans, on alterne. Sa mère et sa soeur étaient venues après le ramadan, mais cette fois-ci la jeune fille de 19 ans a voyagé seule pour rendre visite à son père et son petit frère, restés à Binnish.
Pour elle aussi, le retour est inconcevable: "On est obligés de rester en Turquie, à cause de la guerre", arborant tunique noire et jean neufs, achetés tout spécialement à l'occasion de l'Aïd.
"Si la sécurité revient et si la situation retrouve son cours d'avant-guerre, évidemment que j'envisagerais de rentrer en Syrie", lance-t-elle. Pour le moment, elle s'apprête à s'inscrire à l'université en Turquie.