Plus de deux millions de musulmans de 168 nationalités différentes effectuent depuis mercredi 30 août le grand pèlerinage dans le premier lieu saint de l'islam, dans l'ouest de l'Arabie saoudite.
Sur le parvis de marbre blanc poli de la Grande mosquée, Ismaïl Ajab affiche un visage radieux au milieu de ses compatriotes.
"Notre groupe compte beaucoup de jeunes, ils étaient aussi nombreux dans l'avion", témoigne cet homme de 50 ans, venu de la région parisienne.
"Je n'arrive pas à décrire ce que je ressens. C'est grandiose d'avoir tous les échantillons de chaque nation" devant soi, confie-t-il.
Attablé à la terrasse d'un café dans un centre commercial de La Mecque, Abdel Ali se réjouit aussi de voir des jeunes qui, comme lui, accomplissent le hajj.
"On n'est pas obligé d'attendre d'être vieux, on peut faire le pèlerinage dès qu'on en a les moyens", affirme cet homme de 33 ans, originaire de Lyon (sud-est de la France). Ses parents, originaires du Maroc, ne l'ont pas encore fait "surtout pour des questions financières".
"Nos parents ont appris la religion à travers leur culture, leur pays. Nous davantage par les livres" et les érudits, poursuit-il, sous l'oeil approbateur de Mohamed, 27 ans, également venu de Lyon.
Intéressées par le phénomène du hajj en France, les autorités françaises ont commandé un rapport sur la question. L'étude, intitulée "Hajj: étude du marché français et enquête de satisfaction des pèlerins" doit être remise en septembre au Bureau des cultes rattaché au ministère de l'Intérieur. Contacté par l'AFP, le Bureau des cultes n'était pas joignable.
Les chercheuses Leila Seurat et Jihan Safar, les auteurs du rapport basé sur environ 150 entretiens y ont noté des évolutions récentes.
"On observe des changements sociologiques importants: il y a plus de jeunes et de Français parmi les pèlerins. Depuis environ cinq ans, le nombre de Français a dépassé celui d'étrangers dans le contingent partant de France, qui comptait 17.000 personnes l'an passé", analyse Mme Seurat.
"Dans la tradition, on faisait plutôt le hajj en fin de vie, mais ces jeunes se voient en rupture avec l'islam populaire de leurs parents qu'ils disent avoir remplacé par un islam scientifique, déconnecté de toute culture parentale", ajoute-t-elle à l'AFP.
Après avoir "encadré très strictement le hajj à l'époque coloniale, la France s'est désintéressée de la question du pèlerinage jusqu'à ce que ce dernier devienne une question française", note aussi l'historienne Sylvia Chiffoleau, en référence au nombre de plus en plus important de citoyens français faisant le hajj.
Pour certains jeunes présents à La Mecque, le pèlerinage est aussi une occasion de se déconnecter des débats politiques sur l'islam qui reviennent souvent à la une des médias en France.
Abdel Ali et Mohamed déplorent un climat pesant depuis les attentats meurtriers de 2015 perpétrés par des jihadistes: "les Français ont peur des musulmans, même si beaucoup savent faire la différence", estime Abdel Ali.
"Il y a eu des débats comme celui du burkini qui ont pris des proportions qu'ils n'auraient jamais dû prendre", emboîte Mohamed qui préfère ne pas divulguer son nom.
Un malaise exprimé par d'autres pèlerins ayant refusé tout entretien avec l'AFP, se disant méfiants et déçus par la couverture médiatique des musulmans en France.