La Singularité en 2045: promesse de vie prolongée ou cauchemar technologique?

Lahcen Haddad.

Lahcen Haddad.

ChroniqueLa promesse d’une révolution technologique totale fascine autant qu’elle inquiète. À mesure que l’Intelligence artificielle progresse, certains annoncent l’avènement imminent d’une «Singularité», ce moment où les machines dépasseront l’esprit humain et où la frontière entre l’homme et la technologie pourrait s’effacer. Utopie transhumaniste ou bascule dangereuse pour notre civilisation? Entre visions futuristes et interrogations éthiques profondes, retour sur un débat qui façonnera notre destin en ce XXIᵉ siècle.

Le 27/11/2025 à 10h58

Sommes-nous proches de la Singularité? D’ici quelques décennies, l’Intelligence artificielle et l’intelligence humaine pourraient fusionner, créant un nouvel être hybride, un «cyborg», capable de vivre très longtemps et de penser à une vitesse inimaginable. Ray Kurzweil, l’un des plus grands futurologues, affirme que vers 2045 l’humanité atteindra ce point de bascule. Ce sera, selon lui, la transformation la plus radicale depuis l’émergence de Homo Sapiens. Mais que signifie ce bouleversement? Et surtout: quels en seront les enjeux éthiques, politiques et économiques?

La vision de Kurzweil: une accélération sans fin

Dans The Singularity Is Near, Kurzweil défend la thèse de la «loi des rendements accélérés»: chaque progrès scientifique génère les outils du progrès suivant, accélérant l’histoire. Ce qui prenait des millions d’années dans l’évolution biologique se mesure désormais en décennies grâce à la technologie.

Selon lui, l’informatique est le moteur principal de cette dynamique. Les puces en silicium atteignent leurs limites, mais de nouveaux horizons s’ouvrent: transistors en nanotubes de carbone cent fois plus rapides, puces tridimensionnelles, voire ordinateurs à ADN capables de stocker l’équivalent d’un trillion de CD dans un centimètre cube. Ces innovations rendront les machines aussi puissantes, puis plus puissantes, que le cerveau humain.

D’ici 2030, les scientifiques pourraient cartographier et simuler le cerveau, construisant des machines capables non seulement de calculer, mais aussi d’apprendre, de raisonner, voire de développer une conscience rudimentaire. Parallèlement, la médecine entrerait dans une nouvelle ère. Des nanorobots circulant dans notre sang pourraient éliminer virus et plaques artérielles, réparer l’ADN ou délivrer des médicaments directement aux cellules. La thérapie génique permettrait de remplacer les gènes défectueux, et les organes manquants seraient cultivés en laboratoire à partir de nos propres cellules.

À l’horizon 2045, Kurzweil imagine l’avènement de la Singularité. L’Intelligence artificielle surpassera l’humanité dans son ensemble, et les frontières entre l’homme et la machine s’effaceront. Les humains pourraient fusionner avec leurs technologies, augmentant mémoire, intelligence et longévité, jusqu’à frôler l’immortalité. Mais ce futur porte aussi ses propres menaces: nanorobots hors de contrôle, superintelligences non alignées, concentration extrême de pouvoir.

Les dilemmes humains

La perspective de la Singularité fascine autant qu’elle inquiète. Peut-on vraiment retarder la mort? Et si oui, faut-il le faire? La mortalité n’est pas seulement une contrainte biologique: c’est le cadre dans lequel s’inscrit le sens de nos vies. Elle donne urgence à nos choix et profondeur à nos relations. Effacer la mort reviendrait à effacer une part essentielle de notre humanité, en tant que créatures faibles face à la grandeur de Dieu.

Il y a aussi la question de l’identité. Si nos souvenirs sont stockés dans des puces et nos pensées prolongées par des algorithmes, restons-nous les mêmes? Où finit l’humain et où commence la machine? La promesse d’«amélioration» pourrait se transformer en perte de soi.

«La Singularité (...) pourrait aussi créer des inégalités insurmontables, abolir l’essence de l’humain et déclencher des crises hors de contrôle»

—  Lahcen Haddad

La dignité humaine est également en jeu. Pendant des siècles, elle a reposé sur la reconnaissance de notre fragilité. Dans un monde où les faibles seraient perçus comme «réparables» ou «obsolètes», les personnes non augmentées risqueraient d’être marginalisées, considérées comme inférieures.

Enfin, ces technologies posent un risque de pouvoir. Les nanobots qui guérissent pourraient aussi être militarisés. L’IA qui nous aide pourrait nous contrôler. L’histoire montre que les humains, lorsqu’ils manipulent des forces qu’ils ne maîtrisent pas totalement (nucléaire, génétique, écologique…) produisent souvent des conséquences imprévues, parfois catastrophiques.

Les enjeux du pouvoir

Au-delà de l’individu, la Singularité transformerait la politique et l’économie mondiales. Qui contrôlera ces technologies? Les États? Les entreprises privées? Une institution internationale renforcée? L’ONU peine déjà à gérer les défis climatiques et numériques. Comment encadrerait-elle des superintelligences capables de déjouer en quelques secondes les systèmes politiques existants?

La question de l’inégalité est centrale. Ceux qui pourront s’acheter la longévité et les implants cognitifs formeront une nouvelle élite de «post-humains», laissant derrière eux une majorité biologique. L’humanité pourrait se diviser en castes radicalement inégales, non plus riches et pauvres, mais augmentés et «laissés pour compte».

Sur le plan économique, le choc serait colossal. D’un côté, un gain de productivité inimaginable. Des machines capables de concevoir de nouvelles technologies en un clin d’œil, de résoudre les maladies, d’exploiter de nouvelles sources d’énergie. En théorie, l’abondance pour tous. Mais en pratique, les bénéfices risquent de se concentrer entre les mains de ceux qui possèdent les machines. De nouveaux ploutocrates cyborgs pourraient dominer l’économie mondiale.

S’ajoute un autre problème: les ressources. Si les nanobots nécessitent du carbone pour se reproduire, la concurrence pour cette ressource pourrait devenir violente. L’énergie, déjà au cœur des rivalités géopolitiques, serait encore plus décisive dans un monde d’intelligences hybrides et de supercalculateurs.

Enfin, il y a la question du travail. Depuis des siècles, il structure nos sociétés, forge nos identités et organise nos communautés. Que devient-il quand les machines font tout mieux et plus vite que nous? Une allocation universelle suffira-t-elle à donner un sens à l’existence, ou faudra-t-il inventer de nouvelles formes de valeur, créatives, spirituelles, relationnelles?

Entre utopie et dystopie

La Singularité est à la fois promesse et menace. Elle pourrait inaugurer une ère de prospérité, de santé parfaite et de savoir illimité. Mais elle pourrait aussi créer des inégalités insurmontables, abolir l’essence de l’humain et déclencher des crises hors de contrôle.

Kurzweil la présente comme une étape inévitable, le prolongement logique de l’histoire technologique. Mais l’avenir ne sera pas écrit par les machines seules. Il dépendra des choix politiques, éthiques et culturels que nous ferons. La vraie question n’est pas seulement pouvons-nous atteindre la Singularité? mais voulons-nous y parvenir, et à quel prix?

Le défi est immense. La Singularité pourrait être le couronnement du génie humain. Ou son effacement. Le XXIe siècle décidera si ce rêve devient utopie… ou cauchemar.

Par Lahcen Haddad
Le 27/11/2025 à 10h58