Depuis trois ans, quasiment chaque semaine, les partisans de l'homme au physique imposant, visage rond et barbe grisonnante sous le turban noir des descendants du prophète, manifestent et conspuent, aux côtés des communistes, leurs anciens ennemis jurés, la classe politique accusée de corruption.
Cette dénonciation des prévaricateurs et du clientélisme qui ont fait de l'Irak le 12e pays le plus corrompu au monde selon Transparency International, l'a propulsé en tête des législatives du 12 mai, loin devant les vainqueurs attendus.
Pourtant, celui qui se pose en pourfendeur de l'establishment comptait déjà 34 députés dans le Parlement sortant et a un temps eu une demi-douzaine de ministres au gouvernement.
Né le 12 août 1973 à Koufa au sud de Bagdad, il est le fils de Mohammed Sadek Sadr, champion d'un chiisme militant que Saddam Hussein a fait assassiner en 1999. Le cousin de son père, Mohammad Baker, était un grand penseur chiite, lui-même éliminé en 1980 par le dictateur déchu.
Grâce à cette prestigieuse lignée, Moqtada Sadr est propulsé à partir de 2003 à la tête de la "résistance" chiite -communauté majoritaire en Irak- à l'occupation des forces américaines qui ont envahi l'Irak cette année-là. Un an plus tard, il crée l'Armée du Mahdi, qui devient rapidement la plus puissante des milices irakiennes avec 60.000 combattants.
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En 2004, de violents combats opposent à Najaf, la ville sainte chiite au sud de Bagdad où il vit actuellement, les GIs à ses miliciens qui sont défaits mais établissent leur réputation de combattants déterminés.
En décembre 2006, alors que les généraux américains le considèrent encore comme la plus grave menace à la stabilité de l'Irak, Moqtada Sadr part en Iran pour quatre années d'études religieuses dans la ville sainte de Qom. Tout ce temps, il conserve la main sur ses partisans qui continuent d'étendre leur vaste organisation sociale et son intense maillage. En 2008, il met fin aux opérations de sa milice, accusée d'avoir établi des escadrons de la mort contre les musulmans sunnites.
Mais ce n'est que huit ans plus tard que Moqtada Sadr, lui-même accusé d'avoir commandité le meurtre en 2003 d'un rival, Abdel Majid al-Khoei, appelle à faire cesser les attaques contre les homosexuels et les débits de boisson.
Celui qui réclame toujours un retrait des militaires américains, venus conseiller et appuyer les forces irakiennes dans la guerre contre le groupe jihadiste Etat islamique (EI), réussit le tour de force de mettre d'accord deux ennemis, Téhéran et Washington, sur un point: son rejet.
L'Iran chiite, pays avec lequel la famille Sadr a entretenu pendant de nombreuses années d'étroites relations, ne goûte guère les bravades du leader de 44 ans qui se pose en nationaliste sourcilleux de l'indépendance de son pays. La dernière en date est sa visite en Arabie saoudite sunnite, grand rival régional de Téhéran.
Sur la scène nationale, "il a une large base populaire et, parce qu'il tient la rue, il inquiète de nombreuses parties", estime le politologue Essam al-Fili. Et si une coalition gouvernementale est formée sans lui, comme le réclament Washington et Téhéran, "la situation politique va entrer dans une phase d'instabilité".