Feux de poubelles, barricades, cortèges arpentant les rues, charges violentes des forces de l’ordre et centaines d’arrestations: suite à l’adoption de la très impopulaire réforme des retraites le lundi 20 mars, malgré les deux motions de censure déposées au Parlement, des manifestations spontanées ont émaillé durant la fin de journée et en soirée plusieurs villes de France. Dans la capitale, une centaine de personnes ont été interpellées.
Il s’en est pourtant fallu de peu, exactement de neuf voix, pour que le gouvernement d’Elisabeth Borne soit renversé. Car si la motion présentée par l’extrême droite n’a recueilli que 94 voix sur les 297 nécessaires, la motion transpartisane, portée par 288 vote des députés, a été rejetée de justesse, à neuf voix près, illustrant la fragilité de la position d’Emmanuel Macron et de son gouvernement.
«Neuf voix! Ça ne tient qu’à un fil!»
En sortie de séance, la députée écologiste Cyrielle Chatelain regrette : «Neuf voix... Ça ne tient qu’à un fil!». D’après l’élue : «La solution est la démission de la Première ministre». Avant d’assurer : «Nous sommes prêts à retourner devant les urnes. Nous n’avons pas peur et nous savons qu’Emmanuel Macron n’a pas de majorité dans le pays».
La députée LFI Mathilde Panot estime quant à elle que «rien n’a été réglé» et que «tout continue dans le pays pour faire en sorte que ce texte soit retiré». «Emmanuel Macron n’a plus que deux choix» : le retrait ou le «retour au peuple», le référendum ou la dissolution, estime-t-elle. Dans un communiqué, LFI se réjouit : «La démonstration est claire : la macronie ne tient plus qu’à un fil!», en appelant «les Françaises et les Fançais à participer de toutes les initiatives de mobilisations, de grève et de blocage» en vu du jeudi 23 mars.
«Quand le compte n’y est pas, on retire sa réforme au lieu de brutaliser les Français.»
— Boris Vallaud, député du Parti socialiste.
De son côté, le socialiste Boris Vallaud martèle : «Il n’y a pas de majorité dans le pays, (...) il n’y a pas de majorité au Parlement». Avant de conclure : «Quand le compte n’y est pas, on retire sa réforme au lieu de brutaliser les Français». Le « gouvernement est d’ores et déjà mort aux yeux des Français », a lancé la présidente du groupe La France Insoumise (LFI, gauche radicale) Mathilde Panot, après le vote de la motion rejetée de justesse.
La gauche a soumis au Conseil constitutionnel une demande de référendum d’initiative partagée, une procédure qui devra recueillir 4,87 millions de signatures pour permettre l’organisation d’un référendum.
Manifestations spontanées, violemment réprimées
Après deux mois de concertations et une intense mobilisation syndicale et populaire contre le projet, le passage en force de l’exécutif avec l’usage du 49.3 avait déclenché l’ire de l’opposition, mais aussi celui de la population, qui l’a exprimée en sortant spontanément dans la rue.
Depuis le 19 janvier, des centaines de milliers de Français ont manifesté pour dire leur refus de la réforme des retraites, qu’ils jugent injuste et brutale, notamment pour les femmes et les salariés aux métiers pénibles. Nombre d’analystes estiment que cette réforme et la contestation qu’elle a entraînée laisseront une trace indélébile sur le second quinquennat d’Emmanuel Macron.
Après le rejet de la motion de censure, des milliers de personnes sont sorties à Paris et dans plusieurs villes du pays déclarer leur refus de cette réforme, et surtout de la manière de laquelle le gouvernement de Macron l’a imposée sans vote du Parlement.
Dans la capitale, toute la soirée, par petits groupes, les manifestants ont déambulé dans le centre, renversant sur leur passage trottinettes électriques et vélos, ou mettant le feu à des poubelles qui s’entassent sur les trottoirs de nombreux quartiers.
«Recours excessif à la force»
Rapidement, des affrontements se sont déclenchés avec les forces de l’ordre, dépêchées en grand nombre dans le quartier de la gare Saint-Lazare (IXe), autour de la place de l’Opéra, où plusieurs cars de CRS étaient stationnés. Un cortège a ensuite arpenté les rues, suivi par les policiers de la BRAV-M en moto, tandis que d’autres étaient au Châtelet, non loin de l’Hôtel de Ville.
Comme le confirment les journalistes de l’AFP sur place, les manifestants ne cherchaient pas la confrontation avec les CRS. Ces derniers ont pourtant choisi le recours, souvent excessif et débridé, à la force: charges violentes et sans sommation contre des petits groupes pacifiques, matraquages et arrestation de manifestants isolés ou de simples passants, emploi dispensable et excessif des gaz lacrymogènes, blocage des cortèges selon la technique de «nassage»…
Sur YouTube, Tik Tok, Twitter ou Facebook, durant toute la soirée et dans la nuit, les réseaux sociaux ont débordé de vidéos amateur montrant les attaques des forces de l’ordre contre une population pacifique dans sa large majorité, donnant libre cours à une violence plus que dispensable.
Les mêmes scènes se sont reproduites dans plusieurs grandes villes, comme à Strasbourg (est), Lyon (sud-est) ou Rennes (ouest). «Mon état d’esprit c’est un dégoût infini, c’est un déni de démocratie dans la forme, sur le fond», a déclaré Giampiero Russo, prof de sciences économiques et sociales à Strasbourg présent dans le cortège des manifestants.
une «répression du mouvement social»
Un premier bilan a fait état de centaines d’interpellations dans les différentes villes, dont près de 200 dans la seule capitale. Jean-Luc Mélenchon, secrétaire général du parti d’opposition France insoumise a dénoncé des arrestations «arbitraires». «Ce soir, des dizaines de personnes pacifiques ont été arrêtées de façon violente et arbitraire», dont deux militants de LFI, a tweeté le dirigeant Insoumis. «Nous exigeons la fin immédiate des arrestations et la libération des emprisonnés!»
Et il n’est pas le seul. Des manifestants retenus plusieurs heures au commissariat, puis relâchés sans aucune poursuite: avec les rassemblements spontanés contre le 49.3, avocats, magistrats et politiques dénoncent des gardes à vue «arbitraires », y voyant, comme lors d’autres mobilisations ces dernières années, une «répression du mouvement social». «Il y a une instrumentalisation du droit pénal par le pouvoir politique, afin de dissuader les manifestants de manifester et d’exercer cette liberté», estiment Me Raphaël Kempf, avocat au barreau de Paris.
«On s’y attendait mais on est déçus, en colère», souligne Emma Maes, une Lilloise de 26 ans, tout en soulignant que «la mobilisation n’est pas finie» et en évoquant l’espoir de la tenue du referendum d’initiative populaire, projet porté par la coalition des partis de gauche NUPES.
Entre l’opposition qui appelle à de nouvelles manifestations dans les prochains jours, et les syndicats qui entendent intensifier les mouvements de grève. Déjà, en raison de la grève dans les raffineries qui se durcit, de nombreuses stations-service sont à sec, principalement dans le sud-est du pays, pour la première fois depuis le début du conflit. L’affrontement ne fait que commencer entre les opposants à la réforme des retraites passée en force et le gouvernement. Considérablement affaiblis, le président français et son gouvernement sont confrontés à une crise sociale et politique majeure.