«Dérive», «technocratie gestionnaire», «crise», absence d’«accord profond»: depuis mercredi soir, François Bayrou, président du MoDem (centre, majorité) et allié historique du président français Emmanuel Macron, multiplie les mots tonitruants à l’encontre du nouveau Premier ministre Gabriel Attal. Après 48 heures d’intenses tractations, il marque ainsi son refus d’entrer au gouvernement, dont la composition complète a été annoncée jeudi soir.
«Il y a beaucoup d’incompréhension à l’Elysée et à Matignon. On ne s’y attendait pas», reconnaît un conseiller de l’exécutif, assurant qu’une «place lui était réservée» après sa relaxe judiciaire prononcée lundi.
Pour Benjamin Morel, maître de conférences en droit public, «ça fragilise le gouvernement parce que les lignes de fracture au sein de la majorité vont se creuser». Même si le MoDem reste au gouvernement, il donne le sentiment d’avoir «très envie d’en sortir», au risque de saper «l’autorité» du Premier ministre.
François Bayrou avait d’emblée mis en doute «l’expérience» du plus jeune chef du gouvernement de l’histoire de la République, et critiqué la droitisation de l’exécutif. Désormais, il critique la vision «technocratique» de Gabriel Attal, notamment sur l’éducation, censée être son chantier prioritaire et où il se vante d’avoir forgé sa «méthode».
Procès en déconnexion
À quatre mois d’élections européennes où le Rassemblement national (extrême droite, opposition) est donné favori dans les sondages, le leader centriste met un grain de sable dans l’enthousiasme qui entourait jusqu’ici, en interne, les premiers pas du Premier ministre.
Pire, celui qui reste Haut-commissaire au plan accuse Emmanuel Macron de n’avoir pas tenu la promesse de «gouverner autrement», et dresse en creux un procès en déconnexion entre «la France qui décide en haut» et celle «qui se bat en bas».
«Cela dit beaucoup du second mandat d’Emmanuel Macron qui est très affaibli par le fait que son camp n’a pas de majorité absolue et surtout qu’il n’a plus la capacité de se représenter» en raison des limites constitutionnelles, estime le politologue Pascal Perrineau. «Son pouvoir est sans cesse contesté à l’extérieur, on le voit dans l’opinion publique» avec une cote de popularité au plus bas, «mais aussi à l’intérieur de son camp où chacun y va de sa stratégie de différenciation pour préparer l’après».
Pour autant, la Macronie faisait tout jeudi pour minimiser les dégâts. Un conseiller ministériel raille «une petite crise d’ego» de François Bayrou, qui aurait «un peu craqué» et ferait «cavalier seul».
«Théâtre d’ombres»
Gabriel Attal a quatre à lui nié tout «incident», préférant parler d’un «débat» ou d’un «désaccord ponctuel», tandis qu’un proche du chef de l’État faisait mine de vouloir laisser «s’exprimer» les différentes «sensibilités».
François Bayrou est pourtant bien plus qu’une «sensibilité». Le maire de Pau avait mis ses ambitions présidentielles entre parenthèses en 2017 pour soutenir Emmanuel Macron, apportant un surcroît de crédibilité au jeune candidat dont il partageait la volonté d’imposer un «bloc central» dépassant le clivage droite-gauche. Depuis, même dans les moments difficiles, le président a toujours veillé à bien «traiter» son aîné béarnais.
«Le pays va suffisamment mal pour qu’on n’ait pas en plus ce théâtre d’ombres que les Français», souffle un autre cadre du camp présidentiel, «complètement sidéré» par la séquence. Mais le même se dit «d’accord» sur l’existence d’une «forme d’élitisme perçu par la population».
Comme une illustration de certains choix hasardeux, Gabriel Attal a profité de la présentation de la deuxième moitié de son gouvernement pour «exfiltrer» Amélie Oudéa-Castéra des ministères de l’Éducation nationale et de la Jeunesse.
Affaiblie par des semaines de polémiques, pour avoir critiqué d’emblée l’école publique, «AOC» ne garde de son éphémère «superministère» que le portefeuille des Sports et des JO, alors que Nicole Belloubet, 68 ans, ministre de la Justice lors du premier quinquennat Macron, récupère les dossiers de l’école et de la jeunesse.