C'est seulement la deuxième fois que cette disposition est activée en temps de paix, la dernière fois remontant à la crise de 1970 quand Pierre Elliott Trudeau, le père de l'actuel Premier ministre, était au pouvoir.
«Le gouvernement fédéral invoque la loi sur les mesures d'urgence pour compléter les pouvoirs provinciaux et territoriaux et faire face aux blocages et aux occupations», a-t-il déclaré, précisant que l'armée ne serait pas déployée et que les nouvelles mesures seraient «limitées dans le temps et géographiquement».
La loi entre en vigueur immédiatement et s'applique à l'ensemble du pays, même si le Premier ministre a assuré qu'elle n'aurait un «impact concret» que dans les régions où cela est nécessaire, notamment en Ontario, province dans laquelle se trouve la capitale Ottawa.
Le mouvement de contestation canadien qui a débuté fin janvier est parti de camionneurs protestant contre l'obligation d'être vacciné pour passer la frontière entre le Canada et les Etats-Unis. Mais les revendications se sont étendues à un refus de l'ensemble des mesures sanitaires et, pour de nombreux manifestants, à un rejet du gouvernement de Justin Trudeau.
«Je veux maintenant m'adresser au Premier ministre: peu importe ce que vous faites, on ne lâchera rien», a commenté Tamara Lich, l'une des leaders du convoi dit «de la liberté», lors d'une conférence de presse tenue dans l'heure qui précédait l'annonce du gouvernement canadien.
«Peu de limites»La loi sur les mesures d'urgence peut être invoquée en cas de «crise nationale» et donne au gouvernement fédéral davantage de pouvoirs pour y mettre fin en lui permettant d'autoriser «à titre temporaire des mesures extraordinaires».
Plusieurs Premiers ministres provinciaux ont exprimé avant la prise de parole de Justin Trudeau leur opposition à la mise en place de cette disposition, qui correspond à un état d'urgence national.
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En 1970, le gouvernement de Pierre Elliott Trudeau l'avait invoquée pour envoyer l'armée au Québec et prendre une série de mesures d'urgence, après l'enlèvement par le Front de libération du Québec d'un attaché commercial britannique, James Richard Cross, et d'un ministre québécois, Pierre Laporte.
James Richard Cross avait été libéré après des négociations, mais le ministre avait été retrouvé mort dans le coffre d'une voiture.
«Avec cette loi, le gouvernement peut réquisitionner des biens, des services, des personnes. Le gouvernement peut dire aux gens où aller, où ne pas aller. Il y a vraiment peu de limites à ce que peut faire le gouvernement», a expliqué Geneviève Tellier, professeure d'études politiques à l'université d'Ottawa.
«Maintenir la pression»Hier, lundi, la police canadienne a saisi des armes et des munitions et arrêté 11 personnes sur le blocage frontalier de Coutts en Alberta (ouest), point de passage avec les Etats-Unis paralysé depuis une semaine.
La police était parvenue dimanche soir, après sept jours de blocage, à rouvrir le pont Ambassador, qui relie Windsor en Ontario à la ville américaine de Detroit au Michigan. La paralysie de cet axe frontalier majeur avait poussé Washington, inquiet des conséquences économiques, à intervenir auprès de Justin Trudeau.
Le Premier ministre de l'Ontario a annoncé hier matin la levée prochaine de la quasi-totalité des mesures sanitaires, dont le passeport vaccinal.
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Mais à Ottawa, les opposants aux mesures sanitaires occupaient toujours les rues du centre-ville. Quelque 400 camions sont installés appuyés par une organisation bien rodée: tentes pour se réchauffer, feux de camp, stands de nourriture...
Depuis l'instauration de l'état d'urgence vendredi, ils risquent une amende pouvant aller jusqu'à 100.000 dollars canadiens (69.500 euros), voire un an d'emprisonnement.
Partir «n'est pas dans mes plans», expliquait hier, lundi 14 février 2022 au matin à l'AFP Phil Rioux, barbe de trois jours et yeux bleus au volant de son camion. «C'est en maintenant la pression qu'on a plus de chance d'arriver à notre but», explique le Québécois de 29 ans.
«Très frustrée»Pendant ce temps, la grogne monte dans la population canadienne devant la lenteur de la réaction des autorités, notamment sur les réseaux sociaux, où l'action de la police est fortement questionnée.
«Au début, je les soutenais mais maintenant c'est assez», estime Beatriz Sagastume, une habitante d'Ottawa contrainte de se déplacer à pied pour aller travailler.
Cette mobilisation canadienne inédite continuait hier, lundi, de faire des émules ailleurs dans le monde. Après des manifestations similaires en Australie et en Nouvelle-Zélande, des milliers de voitures et de camions en Israël ont rallié Jérusalem depuis plusieurs villes du pays.
En Europe, après avoir convergé vers Paris samedi dernier, une partie des convois d'opposants aux restrictions sanitaires, dits «de la liberté», sont arrivés à Bruxelles, où la manifestation a été interdite, tandis que la police a bloqué une trentaine de véhicules en amont.