Le prince héritier de 32 ans, connu sous le nom de MBS, sera amené à monter sur le trône dans un pays où la moitié de la population a moins de 25 ans, bien que le moment de la dernière étape de son ascension reste inconnu. Déjà considéré comme "l'homme fort" du royaume contrôlant les principaux leviers du gouvernement, de la défense à l'économie, MBS donne l'impression de vouloir éliminer toute trace de dissidence avant un éventuel transfert du pouvoir de son père, le roi Salmane, âgé de 81 ans.
La semaine dernière, les autorités ont arrêté une vingtaine de personnes, dont des prédicateurs influents et des intellectuels, dans le cadre d'une "campagne coordonnée", selon des militants. Des analystes affirment que nombre de ces dissidents ont critiqué la politique étrangère musclée de MBS, qui comprend le boycott du Qatar, ainsi que certaines réformes audacieuses, dont la privatisation d'entreprises publiques et la réduction des subventions de l'Etat.
Des responsables saoudiens ont vaguement évoqué un complot étranger pour renverser le gouvernement, sans cependant divulguer le moindre détail. "Ces dernières années, nous ne pouvons pas nous souvenir d'une semaine durant laquelle tant de personnalités saoudiennes de premier plan ont été visées en si peu de temps", a déclaré Samah Hadid, directrice d'Amnesty International pour le Moyen-Orient.
Pour des analystes, l'ascension fulgurante de MBS a un côté shakespearien. En juin, deux ans à peine après avoir été nommé vice-prince héritier, il a réussi, avec l'aide de son père, à écarter un cousin plus âgé, le prince Mohammed ben Nayef (58 ans), puissant ministre de l'Intérieur, pour devenir lui-même l'héritier du trône.
Des diplomates étrangers prédisent que MBS pourrait bien être aux commandes de l'Arabie saoudite pendant un demi-siècle. "Je ne peux pas dire quand l'accession au trône de Mohammed ben Salmane se produira, mais le véritable transfert du pouvoir a déjà eu lieu: il dirige de fait l'Arabie saoudite", affirme à l'AFP Perry Cammack, analyste associé au Carnegie Endowment for International Peace.
"(L'ancienne) génération ayant quitté la scène et ses principaux rivaux plus jeunes ayant été écartés, Mohammed est prêt à jouir d'une domination que l'Arabie saoudite n'a pas connue depuis le règne d'Abdel Aziz qui a fondé le royaume moderne saoudien (en 1932)", ajoute-t-il.
Avec sa jeunesse --une nouveauté dans un pays habitué aux dirigeants vieillissants--, MBS cherche à séduire les jeunes en mettant le sport et le divertissement à la pointe de son plan de réforme économique, baptisé Vision 2030, au risque d'irriter les conservateurs. Les cinémas restent interdits et les femmes n'ont pas le droit de conduire en Arabie saoudite, pays régi par une version rigoriste de l'islam.
MBS a fait une rare apparition ce mois-ci à un match de football qui a vu l'Arabie saoudite se qualifier pour la Coupe du Monde prévue en Russie l'année prochaine. Seul dans sa loge royale, le prince souriant à la barbe noire bien taillée a fait le signe de la victoire, une image estampillée sur une nouvelle affiche du gouvernement pour Vision 2030. "L'image capte parfaitement deux dimensions de son pouvoir: son appel à la jeunesse et au nationalisme", explique Kristin Diwan de l'Institut des Etats arabes du Golfe à Washington.
"La fierté nationale remplace l'islamisme. Et les sports et d'autres formes de divertissement compensent la faiblesse de l'Etat-providence pour les jeunes".
Ce contact direct avec les jeunes dans le contexte de la transition saoudienne vers une ère post-pétrole marque un net changement par rapport au passé quand les dirigeants étaient plus enclins à courtiser les anciens. Mais une croissance économique atone, du fait de la chute des prix du pétrole, et un chômage des jeunes en forte hausse pourraient mettre à mal le rayonnement de MBS.
Le gouvernement serait en train de réviser sa stratégie de réformes, qui déjà n'a pas atteint ses objectifs dans des domaines clés, et c'est un signe qu'"une opposition plus large à la réforme est en train de se développer", a déclaré la firme Capital Economics. "Sa propre jeunesse, sa tendance à centraliser le pouvoir et ses changements rapides en matière de politique étrangère ont aliéné certains membres de la famille régnante, tandis que ses changements dans l'économie ont contrarié certaines des familles marchandes", indique Jane Kinninmont, experte associée à l'institut Chatham House.
MBS, qui entretient des liens étroits avec la Maison Blanche de Donald Trump, semble aussi vouloir favoriser des membres de la troisième génération de la famille royale, de jeunes princes qui occupent déjà des postes d'adjoints dans des ministères et des gouvernements provinciaux.