Les manifestations en cours en Algérie constituent «une insupportable humiliation pour le président, ses frères, son armée, sa police, ses députés, ses sénateurs, ses oligarques, ses fonctionnaires, ses milices d'appoint», souligne vendredi l’écrivain algérien Boualem Sansal en observant que le pouvoir algérien «n’a pas pour habitude de se laisser impressionner par des foules qui n’ont ni canons ni missiles et qui ne brandissent ni Coran ni rien d’aussi puissant».
Dans un entretien au quotidien Le Figaro, l’écrivain considère que le «silence» de ceux-ci «a un air de veillée d’armes qui n’augure rien de bon», affirmant que jamais personne n’a manqué de respect à la «Famille révolutionnaire» sans «le payer de sa vie».
«La mèche s’est allumée» lorsque Bouteflika a fait annoncer par ses missi dominici sa décision de s’accorder un cinquième mandat, rappelle Sansal qui qualifie de «réjouissant» le fait de «voir les gens sortir de leur longue et insupportable léthargie et venir, très civilement, rappeler au pouvoir qu’ils existent et qu’ils veulent vivre».
L’écrivain avoue cependant que «l’inquiétude est plus forte» chez lui que «cet espoir fou qui se répand sur le pays comme au sortir d’un long cauchemar» qu’il s’efforce de ressentir.
«Attendons de voir dans quelle direction le vent va souffler. Ça manipule dur derrière le décor», lance-t-il en écartant toutefois que le pouvoir puisse tomber.
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«Le pouvoir ne tombera pas. Il contrôle totalement le pays et dispose de tous les moyens, et d’abord de la détermination, pour abattre quiconque approcherait de la ligne rouge», explique-t-il.
«Il a beaucoup appris du printemps algérien et de la décennie noire qui a suivi, ainsi que des printemps des pays arabes», ajoute-t-il .
Selon Sansal, «quand le pouvoir se sentira acculé, il fera ce qu’il a toujours fait quand le peuple bouge et le déborde, il plongera l’Algérie dans le désordre et la violence et, au moment propice, quand les choses seront à point, il fera toutes sortes de bonnes concessions et de beaux cadeaux pour imposer la paix sociale».
Pour l’écrivain algérien, «si Bouteflika n’avait pas eu son AVC, le plan se serait poursuivi tout tranquillement, l’homme a du bagou, il peut vendre du vent à un avare, comme à son arrivée triomphale au pouvoir en 2000, il a en cinq secondes vendu aux gentils Européens son projet de bonheur pour tous».
En réponse à une question sur les conséquences qu’une grave déstabilisation de l’Algérie est de nature à avoir sur la France, Sansal a souligné qu’ «une nouvelle déstabilisation sera terrible» sur le partenaire français.
«Dans l’état de fracturation sociale et politique où elle se trouve, elle pourrait éclater et sombrer», affirme-t-il en observant que «la France est à ce point piégée par l’islamisme et le politiquement correct qu’elle ne sait plus qui elle est, sur quel pied danser, quels noms donner aux choses, quelle langue parler…».
«Les présidents français pensaient que +l’Algérie était leur cauchemar+ mais ils ne le disaient pas, ils souriaient niaisement aux uns et aux autres et les flattaient par de belles paroles, c’est-à-dire des paroles de soumission», indique-t-il.