Impossible de ne pas parler de la forme. Impossible de faire l’impasse sur le plateau, le décor, l’éclairage, le costume des invités. Il s’agit d’une émission de 60 minutes sur Canal Algérie durant laquelle quatre éminents spécialistes expliquent les enjeux qui attendent le continent et s’attardent sur le retour du Maroc à l’UA.
D'accord, il faut aller au fond et essayer de débattre avec eux sur le plan des idées. Mais il n’est pas possible d’initier le débat sans un arrêt sur image. Or, que montre l’image? Un décor tout droit sorti des années 70 et qui a résisté à l’évolution, au progrès, à la modernité. De fait, soit cette chaîne de télévision publique algérienne a décidé de rendre un hommage éternel à l’homme qui a dessiné le décor au milieu des années 70. Soit son directeur financier a trouvé l’astuce du siècle pour ne plus engager aucune dépense: le décor est posé, on n’installe plus, on ne démonte plus. Aucun réglage à faire. S’il existe des décors à l’année pour certaines émissions, Canal Algérie a inventé des décors non pas à la décennie, mais au quart de siècle.
Ce plateau gris, orné d’alvéoles, a accueilli une brochette d’invités ayant mis tout leur talent à ne pas jurer avec le décor. Ils ont revêtus des costumes datant de la même époque que le plateau. Chez quel vendeur ou loueur de déguisements ont-ils bien pu dénicher des tenues qui se fondent si bien dans le décor? Une mention toute spéciale au monsieur cravaté. Sa cravate est une perle, un vestige, un pied de nez à la mode.
Au bout de 60 minutes, ne vous attendez pas à ce qu’une caméra, un zoom, un fond vous rappelle que nous sommes en 2017. Non, nulle trace des normes en vigueur dans la réalisation des émissions de ce genre. Pas d’effet de travelling, pas de mouvements verticaux. Tout est immobile dans un cadre hors du temps.
Il ne faut pas croire que ce décor porte à la modestie. Chacun des quatre intervenants a une très haute idée de son expertise. L’un d’eux s’est même écrié: «moi j’avais écrit un article en 1977. Il a été publié dans une revue africaine sous le titre Décoloniser les mentalités pour construire l’Afrique ». Et cet intervenant d'observer un long moment de silence comme pour donner un aspect solennel à l’énoncé du titre de sa contribution décisive. On a presque envie de lui dire : sans votre article, la face de l’Afrique aurait changé.
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On l’aura compris, le décor du plateau est en parfaite harmonie avec la teneur des propos des invités. Si l’Afrique pouvait parler, elle leur aurait dit: «laissez-moi tranquille et dépoussiérez vos mentalités». Quatre intervenants qui vivent en marge de leur temps, se livrent à un spectacle anachronique. Leur numéro sent la naphtaline et pue la ringardise. Ils donnent une piètre image de leur pays, figé dans le passé. Un pays en bute aux scandales et dont nombre d’initiatives font bien rire le continent.
La preuve: à grands coups de klaxons ce pays organise, du 3 au 5 décembre 2016, un forum dédié à l’économie et aux investissements dans le continent. Rien n’est trop beau, aucun superlatif n’est trop grand pour qualifier cette rencontre. Au lieu des 2.000 hommes d’affaires et décideurs africains, seulement 100 font le déplacement à Alger. Quel étonnement! Et pour couronner le tout, la délégation, présidée par le Premier ministre algérien, quitte la salle dans laquelle se tient le forum pour protester contre le patron des patrons qui n’aurait pas respecté le protocole, donnant ainsi une image lamentable de la désunion des responsables politiques et du patronat en Algérie. Le continent a assisté incrédule au spectacle surréaliste de cette chouha. On ne rattrape pas des décennies de retard et de paralysie dans le continent en organisant un forum économique dédié à l’Afrique.
Autre spectacle surréaliste: les milliers d’ouvriers chinois s’activant pour construire des autoroutes et même des mosquées en Algérie. L’interminable chantier de la mosquée d’Alger, vendue par le régime comme le deuxième plus grand édifice religieux en terre d’islam, offre un spectacle hilarant à qui n’est pas au fait des us et coutumes en Algérie. Les ouvriers, oui bien lire ouvriers, qui construisent ce chef d’œuvre sont tous Chinois. L’Algérie importe tout, y compris de la main d’œuvre. Et cela ne fait pas rire nos voisins de l’Est.
Rien ne trouble le sérieux des invités de notre émission. L’un d’eux explique sans sourciller que le Maroc est le cheval de Troie des puissances occidentales pour pénétrer et affaiblir l’UA. Les partisans de cette théorie du complot l’étayent par le partenariat qui lie le Maroc à l’OCDE. Oui, c’est l’OCDE qui a soufflé, en 1999, à Mohammed VI sa vision africaine. C’est l’OCDE qui lui a demandé de poser patiemment, depuis 17 ans, brique par brique, les éléments d'un modèle de collaboration Sud-Sud, exemplaire dans le continent.
La palme d’or du commentaire le plus affligeant revient toutefois à l’intervenant qui a déclaré que le secret de la réussite continentale du Maroc s’expliquait par le nombre de chefs d’Etat africains mariés à des femmes marocaines. Triple hourrahs pour les Marocaines dont le charme a désarmé les chefs d’Etat qui allaient opposer une farouche résistance au retour du Maroc à l’UA.
Tout bien considéré, cette émission est à l’image de l’Algérie, un pays tellement immobile et hors du temps qu’il ne s’émeut plus du grotesque de nombreuses situations. La rente des hydrocarbures a trop engraissé le voisin de l’Est au point qu’il a désappris l’exercice de l’autocritique. La propagande est si bien enracinée que ses acteurs, à l’instar des invités de Canal Algérie, ne se rendent même pas compte qu’ils se couvrent de ridicule.
Un autre exemple du grotesque made in Algeria? Alors que tout le continent rit sous cape de la nomination d’Abdelaziz Bouteflika au poste de vice-président de l’UA, Alger célèbre cette nomination comme un exploit de sa diplomatie.