Dans sa dernière livraison, le magazine hebdomadaire français Le Point livre une enquête de fond sur le Maroc, signée de l’une de ses plus fines plumes, Luc de Barochez.Sur 14 pages illustrées, le magazine parisien, fondé en 1972 par deux transfuges de L’Express, visite, de fond en comble, l’état du Maroc.
Un premier article, dit «de cadrage», situe le contexte actuel auquel est confronté le royaume.D’emblée, l’auteur de cette enquête ose un parallèle entre le Maroc et le voisin algérien, dont l’ex-chef de l’Etat Abdelaziz Bouteflika est entré en fonction à peine trois ans plus tôt que le roi Mohammed VI.
Si comparaison n’est pas raison, l’auteur annonce toutefois d’emblée que «vingt ans après, le contraste entre les deux frères ennemis maghrébins est criant. Le président algérien, quasi-grabataire, et sa succession, chaotique, révèle l’état profondément délabré de son pays. Le Maroc, lui, affiche des résultats enviables et a renforcé son cadre constitutionnel».Et le journaliste du Point de comparer «l’économie de rente» d’une Algérie «riche en pétrole et en gaz» à un Maroc qui a été «obligé de construire le pays de ses mains», mais qui a su tirer bénéfice de son «histoire multiséculaire», et qui a également su «faire les bons choix politiques», dont celui du «multipartisme».
Pour autant, note Luc de Barochez, un «malaise social» est palpable dans le pays, et la contestation peut être entendue dans les stades de football, lieux de défoulement d’une jeunesse en perte de repères. Le journaliste en veut pour preuve le nouvel hymne de l’équipe casablancaise du Raja «Fi bladi dalmouni» («Dans mon pays, je suis victime d’injustice») qui dénonce le chômage dont souffrent les jeunes du Maroc, ainsi que les inégalités et le fossé social béant entre eux et une certaine caste extrêmement favorisée.
Toujours dans ce long article de cadrage, le journaliste revient sur la prééminence de l’islamisme au Maroc, matérialisé selon lui par l’arrivée au gouvernement, en 2011, des leaders du Parti de la Justice et du Développement, au lendemain des Printemps arabes et dans la foulée de la révision de la loi fondamentale du royaume.
Pour l’auteur de cette enquête, si «le bras de fer est permanent» entre les conseillers royaux et les islamistes aux commandes du gouvernement, cette situation «complique l’avancée des réformes». Luc de Barochez en veut pour preuve la loi réformant l’enseignement, introduisant plus de français lors des cours magistraux, qui se heurte actuellement «à une coalition des mauvaises volontés autour des islamistes», alors même que l’objectif de cette loi «est de favoriser l’employabilité des jeunes diplômés».
Dans un autre ordre d’idées, mais sur une thématique tout aussi sociétale, l’auteur de cette enquête indique que si, certes, «un rapport de la banque mondiale classe avantageusement le Maroc à la première place des pays d’Afrique du Nord pour la place accordée aux femmes», celles-ci sont toujours victimes de discriminations, dont la loi sur l’héritage, sur laquelle la société marocaine reste, aujourd’hui encore, conservatrice.
Luc de Barochez choisit ensuite de faire un zoom sur l’un des grands chantiers structurants du règne de Mohammed VI: «Tanger Med, le plus grand port d’Afrique» est le premier article descriptif de ce dossier Maroc. Le journaliste, qui a lui-même visité cette œuvre majeure et désormais concrète de la ville du Détroit, use d’un lexique certes mesuré, mais révélateur du fait qu’il a été visiblement impressionné. Tanger Med est ainsi qualifié de «titanesque», de «poumon économique» du Maroc, de «symbole palpitant du renouveau économique du royaume».
«Aujourd’hui les plus grands navires du monde, capables d’embarquer jusqu’à 20.000 conteneurs chacun, viennent accoster sur les quais immenses où les attendent d’immenses portiques de débarquement automatisé», indique posément le journaliste, au plus près de la réalité, comme le veulent les règles d’un reportage objectif.
Né d’une «vision royale», Tanger Med a connu, depuis, «un envol vertigineux» grâce à un « investissement total de 8 milliards d’euros sur dix ans», indique sobrement Luc de Barochez.
L’auteur de cette enquête a tenu également à revenir, sous formes d’encadrés concis, sur d’autres chantiers, culturels et architecturaux ceux-là, aujourd’hui réalités concrètes dans plusieurs villes du Maroc. L’auteur cite à cet égard le collège «La Muraille du Savoir» d’El Jadida, dont l’œuvre architecturale a doublement été primée, en 2018, au concours international Architizer A+Awards; la gare LGV de Casablanca-Voyageurs, «ensemble ferroviaire ultramoderne», qui attend «20 millions d’usagers en 2025» a également retenu son attention; mais aussi le nouveau grand théâtre de la métropole économique, ou CasaArts Casablanca, une œuvre co-signée Christian de Portzamparc et Rachid Andaloussi.
Enfin, d’un strict point de vue religieux, le royaume, de tradition séculaire musulmane et judaïque, est décrit par l’envoyé spécial du Point comme étant détenteur d’une mission capitale, celle «d’éviter le choc des civilisations». Le reporter a donc visité l’institut Mohammed VI des imams, aumôniers et prédicatrices, créé en 2004 à Rabat, et qui prône un islam «ouvert et tolérant», écrit-il, «une religion de paix et d’amour».
Le reporter entend dans cet institut des femmes «psalmodier le Coran», «un chant inimaginable au Moyen-Orient». L’institut, écrit-il en outre, dispense également à ses étudiants issus de tous horizons, y compris de France, des notions de «culture juive» ainsi qu’une «introduction au christianisme».
Toutefois, Luc de Barochez indique lucidement que «la réforme religieuse, impulsée d’en haut, se heurte à de vives oppositions, parmi une mouvance islamiste aux multiples ramifications». Il cite, pêle-mêle, l’association, interdite mais tolérée, Justice et Bienfaisance, ainsi que le Mouvement Unicité et Réforme (MUR), bras idéologique du Parti de la Justice et du Développement, qui est aux commandes de l’actuelle coalition gouvernementale, dont il note le fait qu’ils «utilisent le programme national de lutte contre l’analphabétisme pour faire de l’entrisme dans les mosquées».
Et l'auteur de cette enquête de fond sur le bilan des vingt années de règne du roi Mohammed VI de conclure qu’il s’agit là d’«un combat de longue haleine, encore loin d’être gagné».