Des dizaines de millions de vidéos montrent leur choc en voyant le filtre s’adapter parfaitement à leur visage et leur donner des lèvres pulpeuses, des pommettes saillantes et un maquillage de mannequin.
Beaucoup se désespèrent ou s’indignent ensuite face à leur visage réel, quand le miroir déformant disparaît.
«C’est le dernier assaut en date du mythe de la beauté idéale», estime Kim Johnson, professeure en soins infirmiers à la Middle Georgia State University.
Ce genre d’effets spéciaux conduit des personnes à «des régimes excessifs, à la comparaison aux autres et au manque de confiance en soi», ajoute-t-elle.
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Des oreilles de chat aux coupes de cheveux, les filtres de réalité augmentée existent depuis des années sur Snapchat, Instagram, TikTok et de nombreuses applications de beauté.
Mais les derniers exemples atteignent un niveau de réalisme inégalé: Bold Glamour ne s’efface pas quand on passe une main devant la caméra, il n’est pas flou sur les bords, il suit les mouvements du visage comme du vrai maquillage.
Au point que de nombreux experts se demandent si on assiste à un bond de l’intelligence artificielle utilisée pour cette technologie.
Données personnelles
Selon Luke Hurd, qui crée des filtres pour des réseaux sociaux, les filtres traditionnels consistent en des masques 3D «posés» sur le visage filmé par la caméra du smartphone.
Bold Glamour et d’autres effets récents -comme celui qui donne une figure d’adolescent- «prennent votre image et la redessinent, pixel par pixel, (directement) sur le rendu de l’objectif», a-t-il expliqué sur TikTok et Twitter.
Il en conclut que ces filtres relèvent du «machine learning», ou apprentissage automatisé des machines.
D’autres observateurs avancent même qu’il s’agit d’IA générative, selon le principe des programmes ChatGPT ou Dall-E, qui peuvent générer des poèmes, des dessins ou du code informatique sur commande, et de façon instantanée.
Ces effets spéciaux existent depuis un ou deux ans, mais Bold Glamour est «très sophistiqué», constate Petr Somol, directeur de la recherche en IA chez Gen, une entreprise de cybersécurité.
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Or l’IA générative nécessite des montagnes de données.
TikTok, qui appartient au groupe chinois ByteDance, est justement dans le collimateur de nombreux gouvernements occidentaux au sujet de la confidentialité des données personnelles.
Aux Etats-Unis, la plateforme est considérée comme une menace pour la sécurité nationale par de nombreux élus. Ils l’accusent de communiquer des informations à Pékin, ce qu’elle nie.
Le groupe californien «Meta pourrait parfaitement sortir cette technologie sur Facebook et Instagram», remarque Andrew Selepak, professeur spécialiste des médias et des technologies à l’université de Floride.
Il n’est pas sûr que TikTok ait «suffisamment réfléchi aux implications de ce nouveau produit tout nouveau tout beau».
L’application est restée très discrète, refusant de donner des précisions sur le fonctionnement du filtre.
Elle a juste assuré encourager ses utilisateurs à «être eux-mêmes» sur le réseau social qui favorise «l’expression personnelle et la créativité».
«Nous continuons à travailler avec des experts et notre communauté pour aider TikTok à rester un espace positif, qui soutient tout le monde», a indiqué l’entreprise.
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Trop beau pour être vrai
Bold Glamour interpelle parce qu’il s’agit d’un filtre vidéo qui s’adapte en temps réel, évoquant donc le danger des «deepfakes».
Ce terme générique désigne les montages trompeurs (photo, vidéo ou audio) qui donnent l’impression qu’une personne a dit ou fait des choses qu’elle n’a en réalité pas dites ou faites.
Ces derniers filtres «ne sont pas nécessairement de la technologie de deepfake en soi, mais il n’y a qu’un pas», souligne Petr Somol.
Il est peu probable que des plateformes grand public comme TikTok et son milliard d’utilisateurs ne donnent jamais accès libre à des outils pour tromper le public, remarque Siwei Lyu, professeur en sciences informatiques à la State University of New York.
Mais «ce qui les rend dangereux, ce sont les personnes qui comprennent la technologie et pourraient s’en servir à des fins mal intentionnées», détaille-t-il.
A ce stade, pour beaucoup d’utilisateurs, le filtre de beauté nuit surtout à l’ego.
«Si je n’étais pas un adulte, franchement, ce truc me détruirait le cerveau», a lancé Abbie Chatfield, une star de la télé réalité australienne, en testant Bold Glamour.