Génération TikTok

Zineb Ibnouzahir.

ChroniqueSommes-nous devenus vieux et cons aussi vite pour porter sur ces gamins un regard horrifié et dédaigneux? A moins que ce ne soit eux qui deviennent de plus en plus bêtes et cons - n’ayons pas peur des mots, après tout, qui aime bien châtie bien - au contact de ces contenus débilisants?

Le 18/06/2023 à 13h35

Au grand désespoir de nombreux parents, TikTok est devenu la référence principale de leurs enfants. Essayer d’avoir une discussion avec ses gosses sans les entendre y faire référence relève de l’exploit. Pour peu qu’on tente d’enrichir leur culture musicale avec de bons vieux classiques, de les initier aux genres musicaux, on se verra répondre invariablement «ah oui, ça je l’ai entendu sur TikTok, c’est trop cool» ou «ouais bof, ça te rappelle ta jeunesse, y’a 40 ans?» quand TikTok n’est pas passé par là…

Il fut un temps, pas si lointain, où les adolescents que nous étions se définissaient par leurs goûts musicaux. Il y avait les amateurs de rap, de reggae, de hard rock, de dance, de pop, de techno… mais aujourd’hui, il suffit d’observer quelques minutes une bande d’ados, voire même plus jeunes, pour se rendre compte qu’ils chantent absolument tous la même chose, à savoir les titres les plus populaires sur TikTok.

Bon côté des choses, cela a tout de même permis à des artistes d’une autre époque de ressusciter, à l’instar de la Britannique Kate Bush, qui a vu son tube «Running up that hill», sorti en 1985, caracoler en 3ème position du réseau social en 2022 grâce au succès de la série «Stranger Things», qui a offert à ce vieux tube une nouvelle jeunesse.

TikTok n’influence pas seulement les goûts musicaux de nos gamins mais aussi leur culture cinématographique. Un film devient trop cool à voir parce qu’un extrait en a été diffusé sur la plateforme. «Oh, j’ai vu ce passage sur TikTok, ça a l’air trop bien», s’exclament-ils, tout à coup intéressés par «Le parrain» de Coppola au bout de la 45ème minute de film.

On ne s’attardera pas non plus sur leurs discussions, à base de «eh t’as vu la vidéo du chat qui saute d’un immeuble? Trop mortel frère!» ou de «et toi, t’as vu celle du père qui lance sa sandale sur son fils? J’étais trop MDR», agrémentées de «Quoicoubeh»… Que dire aussi de ces filles de plus en plus jeunes qui se sexualisent à vitesse grand V et s’exposent dangereusement dans des challenges dégradants? Qui se cachent derrière des filtres jusqu’à ne plus supporter leurs propres visages? Qui ont recours de plus en jeunes à la chirurgie esthétique pour ressembler à ces versions virtuelles d’elles-mêmes? A quoi donc cette banalisation de la «porn culture» chez les adolescentes va-t-elle aboutir?

Sommes-nous devenus vieux et cons aussi vite pour porter sur ces gamins un regard horrifié et dédaigneux? A moins que ce ne soit eux qui deviennent de plus en plus bêtes et cons -n’ayons pas peur des mots, après tout, qui aime bien châtie bien- au contact de ces contenus débilisants? Pour la peine, on opte sans hésiter pour la deuxième option: oui, nos enfants se crétinisent, et c’est en grande partie de notre faute!

Face à ce constat, on ne réagit pas tous de la même manière. Certes, tout cela fait partie de leur génération, mais un minimum de contrôle s’impose afin de couper court à ce lavage de cerveau. Nous remettre en question, nous autres parents, s’impose aussi car déplorer que nos enfants ne lisent jamais quand ce qui s’apparente le plus à une bibliothèque à la maison sert à y exposer des bibelots et des photos est contreproductif.

L’heure est grave et elle l’est d’autant plus que la Chine, le pays où est né TikTok, a pris des mesures pour protéger les jeunes utilisateurs de la plateforme face aux dérives. Ainsi, la version chinoise de la célèbre application de vidéos courtes, baptisée Douyin, n’est désormais plus accessible aux utilisateurs de moins de 14 ans au-delà de quarante minutes par jour. Ces heures d’utilisation sont aussi limitées entre 22 heures et 6 heures du matin. Une autre mesure non sans intérêt est le basculement des moins de 14 ans vers un mode jeunesse où sont notamment diffusées des vidéos consacrées aux arts, à l’histoire et à la science. Des mesures comme celles-ci, l’Etat chinois les multiplie, avec aussi l’interdiction aux mineurs de l’usage des jeux vidéo en ligne pendant la semaine au-delà de trois heures.

Au Maroc, un pays où la culture peine à se frayer un chemin dans nos habitudes quotidiennes, où l’enseignement ne brille pas encore pour son excellence, où on se bat encore contre la déperdition scolaire, il est urgent de s’atteler à de telles mesures.

Par Zineb Ibnouzahir
Le 18/06/2023 à 13h35