C’est un véritable paradoxe. Les startups marocaines, qui rivalisent d’ingéniosité pour proposer des solutions innovantes dans plusieurs secteurs d’activités, peinent à attirer de gros investissements, contrairement à leurs homologues nigérianes, égyptiennes, kenyanes ou encore sud-africaines. L’année 2023 n’a pas dérogé à la règle. Sur les 2,9 milliards de dollars levés par les startups africaines, les jeunes pousses du Royaume n’en ont capté que 17 millions, soit 0,4% de ce montant, selon la plateforme Africa The Big Deal.
Avec ses 800 millions de dollars, le Kenya est le pays qui a reçu le plus grand volume de financement, soit 28% du total, suivi de l’Égypte (640 millions de dollars), de l’Afrique du Sud (600 millions de dollars) et du Nigeria (400 millions de dollars). En clair, ce «Big Four», qui domine depuis plusieurs années l’écosystème des startups sur le continent, s’est accaparé 87% des levées de fonds l’année dernière, notamment grâce à des investissements dans le secteur des technologies financières (fintech), technologies vertes (green tech), la logistique et les transports, la santé, l’agriculture.
Pourquoi donc le Maroc, pourtant l’une des plus grandes économies d’Afrique, doté d’un solide système financier et disposant d’un taux de bancarisation qui dépasse les 60%, traîne des pieds et peine à s’imposer dans ce domaine?
Un marché peu attractif pour les investisseurs étrangers
D’après Omar El Hyani, directeur d’investissement de Maroc Numeric Fund, un fonds de capital-risque public-privé dédié au financement des startups technologiques marocaines, contacté par Le360, deux principaux facteurs expliquent ce retard. D’abord, la taille du marché domestique. Autrement dit, le nombre total d’acheteurs potentiels d’un produit ou d’un service au sein d’un segment de marché donné, principal critère d’investissement des fonds étrangers de capital-risque.
«La taille du marché marocain est relativement réduite comparée à celles du Nigéria ou encore de l’Égypte dont l’effectif des populations dépasse les 100 millions d’habitants, ce qui permet aux startups locales d’avoir accès à un marché domestique assez important», souligne-t-il. Cette demande peu consistante entraine de faibles levées de fonds. «La plupart des levées de fonds de startups marocaines varient entre 1 et 15 millions de dirhams. Une fourchette qu’elles n’arrivent pas à dépasser aussi bien sur le marché local qu’à l’international à cause du manque d’attractivité du marché marocain», précise notre interlocuteur.
Autre écueil, et pas des moindres, le manque d’intégration régionale. «Contrairement à l’Afrique du Sud et au Kenya qui jouissent d’une bonne intégration économique dans leurs sous-régions respectives, notamment grâce à des accords de libre-échange, le Maroc est handicapé par la faible intégration au Maghreb. Une situation qui ne facilite pas le déploiement des activités de nos startups dans les pays voisins pour élargir leur clientèle», déplore Omar El Hyani.
Un secteur bancaire rigide
L’expert évoque aussi la réglementation assez rigide notée dans plusieurs secteurs clés au Maroc comme la fintech, l’insurtech (technologies appliquées dans le secteur des assurances), la mobilité urbaine, mais aussi dans des technologies assez pointues comme les drones, qui ne permet pas d’avoir d’avoir des acteurs innovants et disruptifs.
Interrogé début avril par Le360 sur l’écosystème des fintechs au Maroc, Mehdi Alaoui, fondateur de La startup Station, incubateur basé au Technopark de Casablanca, avait également pointé du doigt cette entrave. «Nous avons un secteur bancaire très solide, mais qui reste excessivement régulé. Les banques ont tendance à avoir peur des fintechs, mais elles doivent s’adapter aux réalités. Dans des pays comme le Nigéria, le Ghana et le Kenya, où l’écosystème bancaire est moins entravé, les fintechs commencent à devenir des licornes, ont des millions de clients et parviennent à lever des centaines de millions de dollars», avait-il déclaré.
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Pour étayer son argumentaire, il nous racontait son intention d’investir dans une fintech nigériane en 2018, une opération qui ne s’était finalement pas concrétisée à cause de contraintes législatives mises en place par l’Office des changes. Une startup qui deviendra plus tard une licorne (startup valorisée à plus d’un milliard de dollars) avant d’être rachetée par Stripe, une grosse fintech internationale.
Octroyer des marchés aux startups
À en croire Omar El Hyani, la non implication des startups marocaines dans des projets publics ne favorisent guère leur croissance. «Le meilleur moyen de financer les startups marocaines au-delà des levées de fonds, c’est de leur octroyer des marchés. Malheureusement, le secteur public, premier donneur d’ordre au Maroc, achète extrêmement peu de services chez ces entreprises», constate-t-il. D’après lui, il est important que les entreprises et établissements publics agissent dans ce sens «pour promouvoir la souveraineté technologique et faire émerger des acteurs locaux qui puissent exporter leurs technologies ailleurs».
Conscients du retard du Maroc dans le financement des startups, des entités privées et institutionnelles ont lancé plusieurs véhicules financiers ces dernières années dans le Royaume. On peut citer par exemple UM6P Ventures, fonds d’investissement de l’Université Mohammed VI polytechnique (UM6P), le Fonds Innov Invest de Tamwilcom, ou encore le Fonds Mohammed VI pour l’investissement (FM6I) qui a lancé, le 15 avril, un appel à manifestation d’intérêt pour choisir des sociétés de gestion appelées à créer et à gérer des fonds dédiés aux startups.
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Pour Omar El Hyani, on peut mieux faire. «Le financement c’est bien, mais il est important aujourd’hui d’avoir des tickets d’investissements plus élevés qui pourraient dépasser les 15 millions de dirhams. Le financement d’incubateurs et d’accélérateurs est tout aussi nécessaire puisque ce sont des pépinières où grandissent les futures pépites», recommande-t-il.
En dépit des nombreuses contraintes, l’expert se veut optimiste, notamment grâce à la présence de dix fonds de capital-risque au Maroc contre deux ou trois il y a sept voire huit ans. Les futurs investissements de ces structures, combinés aux fonds tantôt cités, qui seront bientôt lancés, devraient permettre au Maroc de franchir de nouveaux paliers dans le financement des startups au cours des prochaines années.