Stratégie énergétique: retards, blocages et failles pointés par la Cour des comptes

La centrale solaire Noor Midelt, l'une des réalisations du Maroc dans le domaine des énergies renouvelables.

Dans son rapport 2023-2024, la Cour des comptes a révélé les dysfonctionnements qui entravent la mise en œuvre de la politique énergétique au Maroc. Détails.

Le 16/12/2024 à 17h34

Bien, mais peut mieux faire. On pourrait ainsi résumer la partie consacrée au diagnostic de la Stratégie énergétique nationale (2009-2030) dans le dernier rapport annuel de la Cour des comptes pour la période 2023-2024. «Des avancées significatives dans plusieurs domaines ont été accomplies et ont permis de consolider le positionnement du Maroc en tant que pays engagé dans la transition énergétique», indique l’institution. Toutefois, précise-t-elle, plusieurs dysfonctionnements entravent la réalisation des objectifs consignés dans cette stratégie.

D’abord, dans la gouvernance du secteur énergétique. Le rapport indique que le processus de planification s’est limité principalement au secteur de l’électricité avec, notamment, l’élaboration de plans d’équipement associés à la production et au transport de l’énergie électrique, «alors que d’autres aspects importants, tels que la sécurité d’approvisionnement, l’efficacité énergétique et la diversification des sources d’énergie, n’ont pas été approchés». D’où la «nécessité d’instaurer une vision holistique dans la planification énergétique».

Recours limité à la contractualisation entre l’Etat et les EEP

L’institution dirigée par Zineb El Adaoui souligne également l’irrégularité des réunions des instances de gouvernance des établissements et entreprises publics (EEP) opérant dans le secteur de l’énergie. «À titre d’exemple, le conseil d’administration de l’Office national de l’électricité et de l’eau potable (ONEE) n’a tenu que cinq réunions au cours de la période 2010-2023, sur 28 réunions qui devaient se tenir conformément à la loi», argumente-t-elle.

Concernant la régulation du secteur, la Cour des comptes note des failles et demande l’intégration d’autres filières telles que le gaz et les produits pétroliers, dans le champ de compétence de l’Autorité nationale de régulation de l’électricité (ANRE) «pour les accompagner vers l’atteinte d’un niveau élevé de compétitivité». L’élargissement des attributions de l’ANRE pour en faire un super régulateur du secteur de l’énergie, conformément aux orientations du roi Mohammed VI, devrait combler cette lacune.

Le document constate aussi un recours limité à la contractualisation entre l’Etat et ces EEP, malgré le lancement d’un ensemble d’initiatives dans ce sens. «Depuis l’année 2008, soit à la veille du lancement de la SEN, seul l’ONEE a conclu deux contrats programme avec l’Etat: un premier couvrant la période 2008-2011, puis un deuxième pour la période 2014-2017», précise-t-on.

Retard significatif dans le transfert des actifs de l’ONEE à Masen

L’autre dysfonctionnement majeur relevé par la Cour des comptes, c’est le retard dans la réalisation de plusieurs projets de production d’énergies renouvelables. Résultat: «la part des énergies renouvelables dans le mix électrique, en termes de capacités de production installées, est passée de 32% en 2009 à 40% à fin 2023, restant ainsi en deçà de l’objectif de 42% fixé pour l’année 2020», souligne-t-elle. Et d’ajouter: «De plus, plusieurs projets présentés par le secteur privé conformément à la loi n°13.09, précitée, n’ont pas été autorisés faute de capacités suffisantes du réseau de transport de l’électricité».

L’autre «retard significatif» concerne le transfert des installations et des projets d’énergies renouvelables de l’Office national de l’électricité et de l’eau potable (ONEE) à Masen. «À fin septembre 2024, cette opération n’a pas encore eu lieu, alors que la loi n°38.16 modifiant et complétant le Dahir portant création de l’ONEE a fixé la fin du mois de septembre 2021 comme date limite pour cette opération», constate l’institution présidée par Zineb El Adaoui.

«La séparation des rôles dans le secteur de l’électricité a également été retardée. En effet, et jusqu’à la fin de l’année 2023, la séparation comptable des activités de production, de transport et de distribution de l’ONEE n’a pas été réalisée», indique le rapport, précisant qu’aucune date limite n’a été fixée pour clôturer cette opération. «Ceci est de nature à retarder l’atteinte d’un des objectifs importants de la loi n°48-15, à savoir l’instauration d’un gestionnaire du réseau», alerte-t-on.

La stratégie nationale d’efficacité énergétique, définie comme une priorité nationale, peine aussi à porter ses fruits, selon la Cour des comptes. Selon l’institution, la non-approbation des deux versions de ce programme, élaborées respectivement en 2014 et 2019, a entravé la mise en œuvre des mesures prévues.

Accélérer la réforme du secteur de l’électricité

«De plus, la faiblesse des moyens financiers, le retard de publication de certains textes d’application de la loi 47.09 relative à l’efficacité énergétique et l’absence d’un dispositif d’incitation capable de faire adhérer les secteurs énergivores ont également contribué à la mise en œuvre limitée des mesures d’efficacité énergétique», ajoute-t-elle.

Enfin, concernant le gaz naturel, le rapport indique que le non-aboutissement des initiatives prises pour développer ce secteur affecte les efforts du Royaume qui envisage d’abandonner progressivement le charbon dans la production de l’électricité. «Plusieurs initiatives ont été lancées depuis 2011, mais n’ont pas abouti à l’adoption d’une stratégie officielle pour le développement de ce secteur», souligne le document.

Après le diagnostic, place aux remèdes. La Cour des comptes recommande au chef du gouvernement de «veiller à l’élaboration, la validation et la mise en œuvre d’une stratégie nationale d’efficacité énergétique, et à la mise en place d’un système incitatif à même d’encourager les mesures d’efficacité énergétique».

Au ministère de la Transition énergétique, la Cour demande «d’instaurer un cadre de gestion basé sur des contrats programmes entre l’Etat et les établissements et entreprises publics du secteur énergétique, tout en veillant à l’application de leurs clauses». L’institution l’invite aussi à accélérer la réforme du secteur de l’électricité, à travers la séparation des rôles dans ce secteur, la publication des textes juridiques restants, relatifs à sa régulation, notamment ceux liés à la création et au fonctionnement du gestionnaire du réseau de transport. Elle a également recommandé l’achèvement de l’opération de transfert des installations des énergies renouvelables de l’ONEE à Masen.

Par Elimane Sembène
Le 16/12/2024 à 17h34