Au moment où l’économie marocaine est confrontée depuis plusieurs années à un cycle de sécheresse sévère, plombant le secteur agricole qui est en perte de valeur ajoutée et d’emplois, l’industrie est loin de pouvoir contribuer d’une manière significative à combler ce vide.
Or, les différentes stratégies industrielles adoptées par le Maroc depuis 2005, dont l’aboutissement est le Plan d’accélération industrielle (PAI 2014-2020 et PAI 2021-2025), ont justement pour finalité de rendre l’économie nationale moins dépendante de l’agriculture, donc de la pluie.
Et ce, à travers notamment l’augmentation de la part de l’industrie dans le PIB, la dynamisation de l’export, l’accroissement de la capacité d’absorption des nouveaux actifs, le renforcement de la productivité par un appui industriel ciblé, l’amélioration des capacités d’accueil des investisseurs.
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Toutefois, l’analyse de l’évolution de l’industrie montre que les réalisations sont plutôt modestes et loin de permettre à ce secteur de jouer les premiers rôles dans l’économie.
«L’industrie n’a pas joué son rôle pour sauver l’économie nationale», souligne l’économiste Mehdi Lahlou, interrogé par Le360, relevant les piètres performances de ce secteur à plusieurs niveaux: valeur ajoutée, création d’emplois… «Ce n’est pas avec un taux de croissance qui tourne autour de 3% que l’industrie pourra faire la différence et jouer le rôle qui lui est assigné», explique-t-il.
En effet, le budget économique exploratoire 2025, publié le 18 juillet 2024 par le Haut-Commissariat au plan (HCP) où il présente une révision de la croissance économique nationale en 2024, ainsi que les perspectives pour 2025, montre que la valeur ajoutée des industries de transformation devrait connaitre une croissance de 3,1% en 2024, après 2,7% en 2023. En 2025, la valeur ajoutée de ces industries tournerait autour de 3,2%, selon le HCP.
Emploi: à peine 12,2% de part pour l’industrie
Idem pour la création d’emplois, qui est l’un des indicateurs clés pour mesurer la performance globale du secteur industriel. En effet, l’industrie n’arrive pas à créer massivement de l’emploi, comme attendu, pour pouvoir absorber le nombre de nouveaux arrivants sur le marché du travail qui devient de plus en plus important.
Ce qui se reflète, d’ailleurs, dans les indicateurs du marché du travail, dont notamment le taux de chômage qui a culminé à 13% en 2023. Ce constat ressort des chiffres du HCP sur le marché de travail de ces dernières années.
Ainsi, en 2019, l’industrie y compris l’artisanat n’a créé que 17.000 emplois, au moment où l’économie nationale a eu tellement besoin de son apport pour faire face à une perte de 146.000 emplois dans le secteur de l’agriculture, forêt et pêche cette année-là.
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En 2020, l’industrie a perdu 37.000 postes d’emplois à cause notamment de la pandémie de la Covid-19 qui a frappé de plein fouet l’économie nationale lui faisant perdre 432.000 postes d’emploi.
Et même lorsque l’économie nationale a commencé à générer de nouveau de l’emploi en 2021 (230.000 postes), l’industrie n’a pas été au rendez-vous. Elle a, en effet, affiché une perte de 19.000 postes. En 2022, l’industrie a créé 29.000 postes d’emplois et en 2023, elle en a généré 7.000, alors que l’agriculture, forêt et pêche a perdu 202.000 postes à cause de la sécheresse.
Au cours de l’année dernière, l’industrie y compris l’artisanat n’a contribué que pour 12,2% à l’emploi global, contre 48,3% des actifs occupés par le secteur des services et 27,8% pour l’agriculture, forêt et pêche et 11,6% pour le secteur des BTP.
Productivité, foncier, logistique, énergie, matière première… autant de problèmes
Pourquoi donc l’industrie nationale n’a pas réalisé le grand saut attendu et ne crée pas assez d’emplois?
«Les facteurs explicatifs sont nombreux et on ne peut pas les présenter d’une manière exhaustive en quelques mots», nous répond Mehdi Lahlou. Le premier problème souligné par notre interlocuteur est celui de la productivité, qui se manifeste par une carence de main-d’œuvre qualifiée.
Une bonne partie des cadres préfèrent émigrer pour chercher des opportunités ailleurs, note-t-il. Il s’agit aussi, poursuit-il, d’une gestion traditionnelle et archaïque d’une bonne partie du tissu des entreprises industrielles qui sont des structures familiales, d’une insuffisance de recherche & développement, d’un manque de terrains industriels. L’industrie pâtit également des problèmes de logistique, de la cherté de l’énergie, d’accès à la matière première, dont le circuit n’est pas bien organisé.
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En un mot, résume-t-il, l’industrialisation du pays en projet depuis longtemps n’a pas réussi. Le résultat: l’économie marocaine reste très dépendante de la pluie. «Quand il pleut, on arrive à sortir la tête de l’eau, sinon, on se retrouve avec une économie qui tourne au ralenti», note-t-il.
Le capital humain, premier pas vers la solution
L’absence d’une vraie stratégie de développement industriel est également soulignée par l’économiste Nabil Adel, dans une précédente déclaration pour Le360.
Pour Nabil Adel, on ne peut pas parler de développement industriel alors que l’on enregistre près de 15.000 faillites d’entreprises par an et tant qu’on n’a pas de 15 à 20 secteurs émergents, à l’image de l’industrie automobile, qu’on n’a pas une nette croissance de la création de nouvelles unités industrielles et une explosion des exportations.
Que faire alors? «On ne réinvente pas la roue», indique Mehdi Lahlou. Il faut tout simplement s’inspirer des pays qui ont réussi leur industrialisation, tels les îles Maurice, la Turquie, la Corée du Sud, la Malaisie, souligne-t-il, en insistant notamment sur le développement du capital humain.
D’ailleurs, tient-il à souligner, les fragilités de l’économie nationale et de l’industrie en particulier, auxquelles il faudra s’attaquer, sont déjà identifiées depuis longtemps, entre autres, par l’important rapport du cinquantenaire. Elles ont trait, entre autres, au capital humain, à la gouvernance, au volet institutionnel…