PLF 2026: la dépense publique à l’épreuve de la réforme

Lahcen Haddad.

Lahcen Haddad.

ChroniqueLa croissance ne suffit plus: place à l’efficacité et à la responsabilité.

Le 30/10/2025 à 11h24

Le Projet de Loi de finances 2026 (PLF 2026) s’inscrit dans un moment charnière de l’histoire économique du Maroc. Après deux décennies d’efforts budgétaires et d’investissements publics massifs, le pays aborde une nouvelle étape: celle de la maturité institutionnelle. La stabilité macroéconomique n’est plus le défi; elle est acquise. Ce qui se joue désormais, c’est la capacité à convertir la rigueur budgétaire en performance, la dépense publique en productivité, et la croissance quantitative en prospérité partagée.

Dans un contexte mondial incertain — croissance planétaire attendue à 3,1% en 2026 contre 3,2% en 2025, ralentissement américain, reprise timide en zone euro, et résilience des économies émergentes —, le Maroc se distingue par une trajectoire solide et contracyclique. Avec une croissance prévue de 4,6%, un déficit ramené à 3% du PIB et une dette du Trésor stabilisée à 65,9% du PIB, le Royaume maintient une discipline macroéconomique exemplaire tout en finançant un effort d’investissement public de 380 milliards de dirhams. Ce triple équilibre — croissance, rigueur et investissement — consacre un État stratège. Mais il révèle aussi un paradoxe: un État qui planifie beaucoup, dépense bien, mais exécute lentement.

Une rigueur exemplaire, mais à la recherche d’un nouveau moteur

Le PLF 2026 repose sur un équilibre soigneusement calibré: une croissance projetée à 4,6%, un déficit contenu à 3% du PIB et une dette du Trésor stabilisée autour de 65,9% du PIB, soit environ 977 milliards de dirhams. En incluant les dettes garanties par l’État, l’endettement public total représente 83% du PIB — un niveau soutenable, surtout au regard de la qualité du portefeuille: 76% de dette intérieure à maturité moyenne de 6,6 ans, et des emprunts extérieurs à conditions favorables, coûtant en moyenne 2,5%.

Ce cadre traduit une politique de crédibilité budgétaire et de prudence macroéconomique. Les recettes fiscales progressent de 14,5% pour atteindre 366,5 milliards de dirhams, portées par la modernisation administrative et la lutte contre l’informel. Mais la rigueur, si elle devient une fin en soi, peut finir par figer l’action publique. Le Maroc a prouvé qu’il sait stabiliser; il lui reste à démontrer qu’il sait transformer.

Investissement public: moteur essentiel ou dépendance prolongée?

L’investissement public marocain demeure l’un des plus élevés du continent africain rapporté au PIB. Routes, ports, hôpitaux, barrages, réseaux hydriques, TGV: le Royaume continue d’accumuler du capital fixe à un rythme impressionnant. Mais cette réussite cache une fragilité: le Maroc croît encore davantage par la dépense publique que par la vitalité du capital privé. Le moteur public tourne à plein régime; le moteur privé, lui, tousse encore.

Les 380 milliards de dirhams inscrits au budget 2026 couvrent les grands chantiers structurants: la ligne à grande vitesse Marrakech–Agadir, les ports de Dakhla Atlantique et de Nador West Med, la sécurité hydrique, la transition énergétique et les infrastructures sportives liées à la Coupe du monde 2030. Ces projets créent des emplois, mais leur effet multiplicateur reste faible: les PME locales sont sous-utilisées, les chaînes de valeur restent concentrées, et la valeur ajoutée nationale est trop modeste. Autrement dit, l’investissement public soutient la demande, mais ne nourrit pas assez la productivité.

Le rapport sur les Établissements et entreprises publics (EEP) 2026 montre toutefois un virage: les grands opérateurs publics, longtemps perçus comme lourds et opaques, se repositionnent en acteurs stratégiques. En 2024, leur chiffre d’affaires global a atteint 364 milliards de dirhams (+10%) et leurs investissements prévus pour 2025 dépassent 152 milliards. Le groupe OCP, le Fonds Hassan II, la CDG et le Fonds Mohammed VI pour l’investissement agissent comme catalyseurs de la transition énergétique, des infrastructures et de la territorialisation des politiques publiques. Mais tant que la frontière entre action publique et initiative privée restera floue, le Maroc risquera de prolonger sa dépendance à la dépense d’État.

CST et SEGMA: puissance financière, inertie d’exécution

Les Comptes spéciaux du trésor (CST) et les SEGMA traduisent cette contradiction entre abondance de moyens et lenteur d’exécution. En 2024, les CST ont mobilisé 356,9 milliards de dirhams pour 158,8 milliards de dépenses, laissant près de 198 milliards reportés — un capital budgétaire endormi. Les SEGMA affichent une autonomie croissante, mais n’exécutent que 22% de leurs investissements.

Ce n’est plus un problème de ressources, mais de responsabilité. Le Maroc dépense, mais n’exécute pas assez vite. L’argent public s’empile dans des comptes au lieu de circuler dans l’économie réelle. Le PLF 2026 tente de remédier à cette inertie avec la création de Project Management Offices pour les projets de grande envergure, la publication de tableaux de bord CST/SEGMA et des clauses de performance dans les secteurs stratégiques. Mais le défi n’est plus technique: il est culturel. Le Maroc doit passer d’une administration de procédures à une administration de résultats.

Ressources humaines et gouvernance: vers une bureaucratie performante

Le PLF 2026 poursuit la réforme de la fonction publique engagée depuis une décennie. Avec 576.000 agents civils, la masse salariale représente 10,8% du PIB et 52% des dépenses de fonctionnement — un ratio élevé, mais stabilisé. Les hausses récentes du SMIG et de la rémunération de base traduisent un engagement social fort. Mais l’État a souvent préféré élargir les effectifs plutôt que transformer les compétences. Numériser sans responsabiliser, c’est digitaliser l’inefficacité.

Les lois-cadres 50.21 et 82.20 sur la réforme du secteur public posent les fondations d’une gouvernance nouvelle: transparence, performance, reddition des comptes. Mais sans un changement profond des pratiques managériales, la culture du résultat restera un slogan. Le Maroc numérique 2030 et la plateforme Idarati peuvent incarner cette bascule vers une bureaucratie de la performance, à condition de lier formation, évaluation et mérite. Le véritable défi n’est plus d’avoir une fonction publique nombreuse, mais d’en faire une force d’exécution agile et responsable.

Un État social assumé, mais encore quantitatif

Les 140 milliards de dirhams consacrés à la santé et à l’éducation consacrent un État social fort. La généralisation de la couverture médicale (AMO), les transferts directs et la création de 27.000 postes budgétaires témoignent d’une ambition historique. Mais la qualité du service public ne suit pas la cadence budgétaire. Les files d’attente dans les hôpitaux, les équipements en panne et la lenteur du recouvrement AMO rappellent qu’un État social ne se mesure pas à son budget, mais à la dignité qu’il garantit.

Le rapport économique et financier 2026 rappelle que la consolidation sociale s’accompagne d’une budgétisation sensible au genre, un progrès réel. Mais un État social qui distribue sans évaluer le risque de devenir une machine à transferts sans transformation. Le Maroc doit passer d’un État bienveillant à un État performant.

Transition verte: d’une politique technique à un projet de compétitivité

Le PLF 2026 consacre 16,4 milliards de dirhams à la gestion de l’eau et accélère la feuille de route de l’hydrogène vert. Les EEP comme l’ONEE, la MASEN et l’OCP ont déjà permis de porter les énergies renouvelables à plus de 45% du mix électrique. Mais la transition écologique reste trop technique, trop administrative. Elle doit devenir économique, industrielle et exportatrice. Une fiscalité verte, un marché national du carbone et des incitations à l’innovation sont nécessaires pour faire de la durabilité un levier de compétitivité. L’écologie ne doit plus être une politique, mais une stratégie.

Le PLF 2026 à la lumière internationale: un modèle d’État stratège, mais encore centralisé

Vu depuis Cambridge ou Boston, le Maroc demeure un modèle d’État stratège: stabilité, cohérence, rigueur. Mais sa gouvernance reste encore trop verticale pour une économie qui aspire à l’agilité. La Turquie a gagné en productivité par la décentralisation industrielle, le Vietnam par la fluidité des partenariats, l’Indonésie par l’autonomie locale. Le Maroc dispose des mêmes atouts, mais il doit les libérer du carcan procédural. La maturité économique passe aussi par la confiance territoriale.

Conclusion: du budget de stabilité au budget d’impact

Le PLF 2026 est un budget d’équilibre, mais pas encore un budget d’impact. Il rassure, mais ne secoue pas. Il investit, mais n’exige pas assez. Trois transitions conditionneront désormais la réussite du modèle marocain:

1. Technologique – faire de l’innovation et de l’IA non pas des vitrines, mais des moteurs de productivité;

2. Institutionnelle – imposer la redevabilité et la transparence à tous les niveaux, y compris dans les entreprises publiques;

3. Sociale – transformer la dépense en résultat, et la solidarité en dignité mesurable.

Le Maroc a franchi le cap de la stabilité ; il doit désormais atteindre celui de la performance. La prochaine décennie se jouera non sur la taille du budget, mais sur la qualité de son exécution et la rapidité de son apprentissage institutionnel.

La rigueur a servi la stabilité. Il est temps qu’elle serve désormais la transformation.

Par Lahcen Haddad
Le 30/10/2025 à 11h24