Le Conseil économique, social et environnemental (CESE) s’est saisi des transformations profondes qui affectent le marché de l’emploi au Maroc. Dans un avis adopté à l’unanimité lors de sa 164ᵉ session, intitulé «Les formes d’emploi non standard et les relations professionnelles: défis nouveaux et opportunités émergentes», l’institution analyse les nouvelles pratiques professionnelles nées de la digitalisation et du travail indépendant. «La synthèse de ce rapport figure dans le Bulletin officiel n° 7450 du 23 octobre 2025», rapporte le quotidien Les Inspirations Eco du 3 novembre.
Fruit d’une démarche participative, mêlant auditions d’acteurs économiques et syndicaux et consultation citoyenne sur la plateforme J’Participe, ce document met en lumière une évolution rapide du marché de l’emploi, marquée par l’essor du travail numérique et indépendant, mais également par un cadre juridique insuffisamment adapté à ces mutations. Le CESE identifie trois grandes formes d’emploi non standard qui redéfinissent les relations professionnelles: le télétravail, le travail via plateformes numériques et le temps partiel.
Le télétravail, popularisé par la pandémie, s’est développé sans véritable cadre légal. Bien qu’il offre flexibilité et gains de productivité, il brouille les frontières entre vie professionnelle et vie privée. À ce jour, aucun dispositif législatif spécifique ne régit cette pratique, si ce n’est un projet de décret limité à la fonction publique.
Les plateformes numériques connaissent une expansion spectaculaire. Des milliers de Marocains collaborent avec des entreprises de livraison ou de services à distance, souvent sans statut juridique clair. À l’échelle mondiale, ces plateformes se sont multipliées par cinq en dix ans, profitant d’un vide légal persistant. Le CESE souligne que, jusqu’ici, aucun critère international ne permet de qualifier précisément la relation de travail dans ce modèle.
Le travail à temps partiel, bien que moins répandu, contribue à l’inclusion professionnelle, notamment pour les femmes, les étudiants et les personnes en situation de handicap. Toutefois, le CESE insiste: il ne doit pas être utilisé comme simple variable d’ajustement et doit garantir les mêmes droits qu’un emploi à temps plein.
Selon le CESE, le modèle économique marocain hérité de l’ère industrielle, centré sur le salariat stable et la subordination, ne suffit plus à décrire les pratiques contemporaines. «L’économie numérique a fait émerger des formes d’emploi échappant aux dispositifs juridiques existants, affectant la protection sociale, la représentativité syndicale et la nature même du lien professionnel», écrit Les Inspirations Eco.
Dans cette «nouvelle géographie du travail», le risque d’une précarisation silencieuse est réel. Les travailleurs des plateformes, rémunérés à la tâche et évalués par des algorithmes, supportent seuls le risque économique, sans bénéficier des protections classiques du salariat. Le CESE met en garde contre une dépendance économique déguisée en liberté contractuelle.
L’accès à la protection sociale constitue un autre enjeu majeur. Les dispositifs existants, liés au statut de salarié, ne couvrent pas ces nouvelles formes de travail. Le CESE plaide pour des droits «portables», rattachés à la personne plutôt qu’au poste, afin de protéger les parcours professionnels discontinus. Certains pays ont déjà amorcé des solutions. L’Espagne a créé un statut pour les livreurs de plateformes, la France reconnaît des droits collectifs aux indépendants, et le Chili a instauré un droit à la déconnexion pour les métiers numériques.
Pour le CESE, moderniser le droit du travail ne signifie pas déréguler mais garantir la dignité des travailleurs face à l’innovation. Il appelle à clarifier les statuts, à créer un cadre juridique spécifique pour les travailleurs des plateformes et à assurer des garanties minimales (sécurité du revenu, droit à la formation et protection sociale universelle).
Le Conseil propose également d’adapter les régimes contributifs aux parcours professionnels discontinus et à la multiplicité des employeurs. Cette réflexion dépasse le seul cadre juridique. Elle touche à la fiscalité, à la gouvernance des données et à la place du travail dans la société. L’objectif est de construire une approche inclusive capable d’anticiper les mutations plutôt que de les subir.







