Les marchés publics sont adjugés à des prix très bas. D'après les éléments de l'enquête menée par la Vie Eco dans son édition du vendredi 1er juillet auprès des fédérations sectorielles, du ministère de l'Equipement et du transport et de la Commission de l'ouverture des plis, le bradage est pratiqué à grande échelle au niveau des appels d'offres de l'Etat. Les prix sont littéralement cassés, notamment pour les prestations dans le bâtiment. Et la dérive est donc catastrophique à tel point que des marchés sont adjugés à 50% du budget qui leur est consacré, constate Moncef Ziani, président de la Fédération marocaine du conseil et de l'ingénierie.
La Fédération nationale du BTP et la Fédération du commerce et des services, qui concentrent plus de 90% de la commande publique, font le même constat. Mohamed Saïd, directeur de la SCS, abonde dans le même sens.“Pour réaliser nos prestations d'une manière correcte, l'entrepreneur doit percevoir au minimum 3,5% du coût du projet, alors qu'aujourd'hui les marchés sont adjugés à des prix qui ne dépassent pas 1% du contrat”, affirme Ziani. Quant à Abdellah El Fergui, président de la Confédération marocaine de la TPE-PME, il déclare que le bradage est devenu très courant et même encouragé par l'Administration qui retient les offres les moins chères, sans considération pour l'aspect technique.
Ce phénomène s'explique par plusieurs raisons. Tout d'abord, l'incertitude quant au volume de la commande publique qui enregistre une inflexion depuis 2012. De surcroît, les entreprises, notamment celles qui sont structurées et sérieuses, ont été encouragées à consentir des investissements importants pour faire face à l'explosion de la commande publique entre 2002 et 2012. Elles se sont donc fortement endettées et se trouvent aujourd'hui tenues de payer les échéances des crédit contractés alors que la commande s'est tarie, explique en substance un opérateur. De plus, beaucoup de maîtres d'ouvrage ne font pas d'études sérieuses pour établir leurs estimations sur des bases objectives et réalistes. Généralement, la tendance se base sur les derniers appels d'offres, ce qui accentue la dégringolade des prix. Mais, selon Moncef Ziani, les prix des marchés publics sont déjà sous-estimés à la base. Face à cette situation, plusieurs entreprises ne soumissionnent plus. Par exemple, pour les marchés de travaux, on évalue seulement les gros œuvres, alors que la marge est nulle ou dérisoire. Au vu du processus laborieux de la soumission, elles préfèrent donc renoncer.
Sur une vingtaine d'appels d'offres ouverts, sélectionnés au hasard par la Vie Eco, quatorze pourraient ne pas répondre aux exigences de qualité concernant le maître d'ouvrage et de rentabilité pour ce qui est de l'adjudicataire, d'après les experts d'un cabinet de renom auquel les informations ont été communiquées pour analyse. Résultat: de plus en plus d'entreprises n'arrivent pas à terminer leurs projets et les résiliations des marchés se succèdent.
Quand les travaux sont réalisés, plusieurs problèmes surgissent à cause des matériaux de mauvaise qualité ou de finitions défectueuses. Selon la FNBTP, il est clair que des offres en-deçà du coût de revient réel fragilisent également le tissu productif. Du côté du ministère de l'Equipement, on insiste sur le fait que la réglementation est claire. Seulement, les dispositions ne sont pas correctement appliquées.
Le ministère de l'Equipement aurait proposé une approche concertée pour contrer le bradage à travers des audits par des cabinets indépendants, ainsi que l'implication de la Fédération. Le ministère compte aussi mettre en place des prix de référence, un chantier déjà bien avancé. Dans le même registre, il note que la tutelle est consciente des dangers sur le secteur et sur la qualité des ouvrages.