La circulaire du ministère de l’Économie et des Finances du 7 octobre constitue un jalon majeur dans l’évolution du cadre de gouvernance financière du secteur public marocain. Par son architecture méthodologique et sa vision intégrée, elle s’inscrit dans la continuité des orientations de la Vision 2030 et du discours royal, tout en introduisant une approche fondée sur la performance, la transparence et la soutenabilité budgétaire.
Ce texte marque une évolution conceptuelle majeure: la gouvernance financière des EEP n’est plus un simple exercice de contrôle budgétaire, mais devient un levier de transformation structurelle et de performance macroéconomique. En liant la programmation financière pluriannuelle aux priorités territoriales, climatiques et numériques, le Maroc se positionne résolument sur la trajectoire d’un État investisseur et stratège, capable de concilier efficacité économique, inclusion sociale et stabilité financière.
La circulaire innove à plusieurs niveaux. Elle introduit une programmation triennale (2026–2028) orientée vers les résultats, encourage la rationalisation des dépenses de fonctionnement et favorise la diversification des sources de financement. En stimulant le recours aux partenariats public-privé (PPP), au recyclage des actifs publics, au financement climatique et aux mécanismes de blended finance (financement mixte combinant capitaux publics et privés pour soutenir des projets à fort impact), le Maroc s’inscrit dans la tendance des économies émergentes cherchant à élargir leur fiscal space (marge de manœuvre budgétaire) sans compromettre la soutenabilité de la dette.
Plusieurs établissements publics ont déjà démontré leur capacité à conjuguer performance économique, discipline financière et transparence. Le groupe Tanger Med (TMSA) incarne un modèle de gouvernance articulé autour d’un conseil de surveillance et d’un comité d’audit et des risques, assurant la consolidation financière et la transparence des flux. L’Office national de l’électricité et de l’eau potable (ONEE) et l’Office national des chemins de fer (ONCF) ont, de leur côté, institutionnalisé la culture du contrat-programme, définissant des engagements clairs entre l’État et les opérateurs publics sur les investissements, les performances et les résultats. Ces dispositifs, salués par la Cour des comptes, ont renforcé la prévisibilité budgétaire et la crédibilité institutionnelle du secteur public.
Sur le plan énergétique, MASEN s’est imposé comme un modèle d’ingénierie financière et contractuelle à travers le montage des complexes solaires Noor selon le schéma PPP BOOT (Build–Own–Operate–Transfer). Ce type de partenariat permet à un opérateur privé de concevoir, construire, exploiter et financer une infrastructure avant de la transférer à l’État après une période donnée. Dans le cas de Noor, ce montage reposait sur des contrats d’achat d’électricité à long terme (Power Purchase Agreements), garantissant la vente de l’énergie produite à un prix convenu, combiné à des financements concessionnels octroyés par des institutions multilatérales telles que la Banque mondiale, la Banque africaine de développement (BAD) ou la KfW. Ce modèle a permis de sécuriser les investissements, de réduire le coût du capital et de positionner le Maroc parmi les leaders mondiaux des énergies renouvelables.
Dans le domaine de l’eau, l’ONEE–Branche Eau a multiplié les projets d’accès rural à l’eau potable via des schémas de cofinancement avec les communes et les bénéficiaires, démontrant qu’une gouvernance contractuelle décentralisée peut concilier inclusion sociale et rigueur financière. Ces réussites illustrent une trajectoire déjà amorcée vers une gouvernance publique plus intégrée, où la performance économique s’allie à la responsabilité sociale et environnementale.
Cependant, la réussite de cette réforme dépendra de la qualité de sa mise en œuvre et de la capacité des institutions à anticiper et gérer les risques systémiques. Trois risques majeurs se détachent:
Le risque d’endettement caché. L’accumulation de passifs contingents à travers des PPP mal encadrés ou des garanties implicites pourrait générer des engagements hors budget, compromettant la crédibilité fiscale — c’est-à-dire la confiance dans la capacité de l’État à gérer ses finances de manière transparente et prévisible. Des pays comme le Chili ou la République de Corée publient chaque année un Fiscal Risks Statement (rapport public détaillant l’ensemble des risques financiers et engagements implicites de l’État), un modèle dont le Maroc pourrait utilement s’inspirer.
Le risque de projets mal préparés. L’expérience internationale montre que près de 40% des PPP échouent faute d’études préalables solides. Selon Bent Flyvbjerg et Dan Gardner (How Big Things Get Done), à peine 8,5% des 16.000 projets qu’ils ont étudiés à travers le monde ont respecté à la fois les délais et les coûts prévus — des statistiques saisissantes qui illustrent l’ampleur des défis de gestion dans les grands projets publics. Le Maroc gagnerait à institutionnaliser un mécanisme d’analyse de la Value for Money (VfM) (rapport coût-bénéfice réel d’un projet public par rapport à d’autres alternatives) avant tout engagement contractuel, à l’image des pratiques mises en œuvre en Afrique du Sud ou au Portugal.
Le risque de tarification socialement inéquitable. Ce point reste central dans la gouvernance des services publics essentiels. Au Maroc, les tarifs de l’eau et de l’électricité sont historiquement fixés à des niveaux inférieurs aux coûts réels pour les premières tranches de consommation, afin de préserver l’accès universel et la cohésion sociale. Les pouvoirs publics assument ce choix à travers des transferts budgétaires annuels destinés à compenser le manque à gagner de l’ONEE et d’autres opérateurs, garantissant ainsi leur équilibre financier. Cette subvention implicite, validée par la Commission interministérielle des prix (décret n° 2-12-503 du 2 octobre 2012) et encadrée par l’ANRE conformément à la loi n° 48-15, constitue une politique sociale de fait. Cependant, afin d’assurer la soutenabilité de ces services à long terme, il devient nécessaire de renforcer la transparence de ces mécanismes de compensation, d’en mesurer l’impact budgétaire, et d’envisager des mécanismes ciblés de soutien direct aux ménages vulnérables, tout en maintenant une régulation indépendante et équitable.
Au-delà de ces risques structurels, la consolidation des finances publiques passe également par la maîtrise d’aspects plus opérationnels: la gestion de la trésorerie, la prévention des arriérés et le renforcement des capacités techniques. L’intégration progressive des EEP dans le Compte unique du Trésor (CUT), accompagnée de tableaux de bord de liquidité harmonisés (outils de suivi standardisés qui permettent à toutes les EEP de présenter de manière uniforme et en temps réel leur situation de trésorerie: encaissements, décaissements, soldes disponibles, dettes à court terme, besoins de financement, etc.) renforcerait la discipline budgétaire. La standardisation des coûts et des modèles de conception permettrait de réduire les dépassements budgétaires dans les grands chantiers d’infrastructure, notamment dans les secteurs de l’eau, de l’énergie et des transports.








