Le Maroc ne produit pas d’énergies fossiles ou très peu. A la merci des variations erratiques des cours mondiaux, il est contraint de vendre à ses usines de l’électricité, produite en grande partie par du charbon, à un prix plus cher que nos concurrents directs et de subir des coûts de transport excessifs. Pour rappel, l’intitulé du premier poste de nos importations dans la balance commerciale est «énergie et lubrifiants», il a devancé de dix points, 38% pour 28%, l’importation des biens d’équipements pour la période 2018-2022.
Face aux récurrentes doléances des entreprises et des ménages plombés par la cherté du coût de l’énergie, les premiers dans leur compétitivité et les seconds dans leur budget, l’unique remède qu’ont pu mettre en place les différents gouvernements qui se sont succédés pour maintenir les prix de l’énergie à des «niveaux acceptables» a été le recours aux subventions. Solution pas très construite intellectuellement, mettant à rude épreuve les finances publiques, mais offrant l’avantage, d’après ses défenseurs, de la «simplicité et de l’efficacité». Simplicité peut-être, mais pour l’efficacité il faut nuancer. Efficacité sociale à court terme peut-être. Il n’en demeure pas moins qu’à cause d’un coût de l’énergie élevé, le Maroc est passé à côté d’une multitude d’opportunités d’investissements locaux et étrangers, avec leurs lots de points de croissance en moins.
L’absence d’une véritable politique énergétique se paye cher. Et là, loin de toute rhétorique creuse ou confidence au coin de la cheminée, il faut rappeler que toute stratégie énergétique a un contenu bien identifié, présent dans divers discours royaux, qui prend en compte au moins cinq exigences majeures: la souveraineté, la sécurité d’approvisionnement, des prix compétitifs, le respect de l’environnement et l’efficacité énergétique.
Ces exigences étaient-elles présentes, notamment la souveraineté, dans les déclinaisons stratégiques des «politiques énergétiques» quand nous avons décidé d’écarter l’installation d’une centrale nucléaire pouvant couvrir 50% des capacités de production électrique installées, alors que nous disposons des moyens humains pour le faire? N’avons-nous pas été rapides dans la décision de privatiser la SAMIR en omettant qu’elle disposait aussi d’une capacité de stockage essentielle pour la souveraineté/sécurité du pays d’abord et pouvant permettre des achats à longue durée (trois mois au lieu de moins d’un mois) plus intéressants financièrement ensuite? Arrêtons-nous justement sur le volet financier en y ajoutant l’environnement. Sommes-nous au courant que la France, dont 95% de l’énergie électrique est produite par le nucléaire, est le pays qui attire le plus d’investissements industriels étrangers en Europe, et ce, depuis des années? La raison est connue, une énergie la moins coûteuse et la moins polluante. Les préoccupations salariales sont lointaines. Nous on a choisi le bon vieux charbon (70% de la production électrique) au détriment de l’environnement et de plus en plus aussi des finances publiques, donc du contribuable doublement pénalisé dans sa santé et son portefeuille. Difficile de terminer ce tour d’horizon sans parler de l’Office national de l’électricité (ONE) et de sa relative passivité dans la construction d’une stratégie énergétique, alors qu’il dispose des meilleures compétences dans le domaine. A supposer qu’il soit écarté des décisions sur les grandes options, n’avait-il pas le devoir et cela demeure posé, d’améliorer «l’efficacité énergétique», il y a des économies importantes à réaliser dans ce domaine? Le budget de l’Etat 2024 a déjà inclus dans ses prévisions une augmentation des subventions à cet office, que l’ONE soit rassuré.
L’entrée en lice de l’opportunité «énergies renouvelables» peut-elle nous dispenser de la mise en place d’une stratégie énergétique? Doit-on considérer que la stratégie se limite à atteindre les objectifs de production en énergies renouvelables? Les bouleversements géostratégiques que connaît le monde avec une politisation à outrance des échanges des énergies fossiles, incite plus que jamais à redoubler de vigilance. Si les énergies renouvelables sont une réelle opportunité pour la création d’une souveraineté énergétique, elle ne doit aucunement nous dispenser d’engager une réflexion sur les compléments nécessaires à cette énergie, au vu de son caractère intermittent. L’abandon progressif du charbon coule sous le sens, vu son prix et ses dégâts collatéraux, comme son remplacement par le nucléaire et le gaz. Aux sceptiques sur la faisabilité de l’option nucléaire, rappelons que l’Egypte a entamé la construction d’une centrale de 4.800 MW (presque la moitié de notre capacité installée actuelle) fournie par Rosatom (russe) et la France achète toujours de l’uranium enrichi chez les Russes. Il ne faut pas «géopolitiser» certaines choses à outrance.
Dans tous les pays avancés, la stratégie énergétique fait l’objet d’un débat public auquel toutes les forces vives d’une nation participent. Allez dire à un citoyen allemand de ne pas participer à ce débat.
Certaines voix se sont exprimées dernièrement en demandant de restreindre ce débat aux «avertis» pour des considérations d’intérêt national. C’est une piste à écarter. Bien au contraire, plus ce débat est participatif, mieux c’est. La raison est très simple, l’énergie est un secteur tellement important, pour ne pas dire vital, pour notre compétitivité économique et nos choix de société qu’il faut s’assurer de l’adhésion de l’ensemble des citoyens, seul garant d’une transparence qui est nécessaire dans ce secteur qui n’est pas à l’abri de tentations rentières.