Sortant de son silence dans un long entretien au Journal du Dimanche, le premier jamais accordé à la presse par ce patron de 47 ans à la discrétion légendaire, Emmanuel Besnier défend pied à pied sa gestion de la crise, vertement critiquée ces derniers jours par le gouvernement et les consommateurs.
"A aucun moment, il n'y a eu une volonté de cacher les choses", assure Emmanuel Besnier, qui dirige l'entreprise familiale depuis 2000, comme son père et son grand-père avant lui. Mais "c'est vrai, je ne suis pas d'une nature expansive. Dans une crise comme celle-là, on cherche d'abord à agir", se justifie-t-il pour expliquer son refus de prendre la parole jusqu'ici.
A l'issue d'une rencontre vendredi avec le ministre de l'Economie, Bruno Le Maire, qui avait fustigé une "entreprise défaillante", le groupe Lactalis a annoncé la reprise de tous les lots de lait infantile produits dans l'usine incriminée de Craon (ouest), élargissant encore les rappels successifs lancés depuis début décembre.
Emmanuel Besnier dit avoir lui-même proposé au gouvernement cette mesure qui s'étend à 83 pays, notamment la Chine ou le Maroc. "Il faut mesurer l'ampleur de cette opération: plus de 12 millions de boîtes sont concernées",souligne-t-il, assurant que les distributeurs n'auront plus à trier les produits en fonction de la date de fabrication. "Ils savent qu'il faut tout retirer des rayons".
Trente-sept bébés ont été atteints de salmonellose en France -dont 18 avaient été hospitalisés- après avoir consommé un lait ou un produit d'alimentation infantile Lactalis infecté, selon un nouveau bilan au 11 janvier. Ils vont tous "bien", selon l'agence sanitaire Santé publique France. Un nourrisson a également contracté la salmonellose en Espagne et un autre cas reste à confirmer en Grèce. "Il n'y a plus de nouveau cas depuis le 8 décembre. Celui qui a été annoncé en Espagne remonte au mois d'octobre", affirme le PDG du groupe laitier.
Lire aussi : Lait contaminé: une plainte doit être déposée ce lundi contre Lactalis
Interrogé sur les "centaines" de plaintes déposées par des parents dans toute la France, où une enquête préliminaire a été ouverte pour "blessures involontaires" et "mise en danger de la vie d'autrui", Emmanuel Besnier promet de ne rien cacher. "Il y a des plaintes, il y aura une enquête, nous collaborerons avec la justice en donnant tous les éléments qu'on nous demandera. Nous n'avons jamais pensé agir autrement". "Nous indemniserons toutes les familles qui ont subi un préjudice", ajoute-t-il.
Le groupe s'est vu reprocher d'avoir manqué de transparence et tardé à réagir après la détection de salmonelle dans son usine de Craon, lors d'auto-contrôles réalisés en août et novembre. Cette contamination, qui concernait seulement l'environnement du site et non les produits, n'a été révélée au public que début décembre.
C'est ensuite le rappel des lots de lait infantile en trois étapes en décembre qui a semé la zizanie. Faute d'accord avec Lactalis, le ministre de l'Economie a expliqué avoir dû signer lui-même le 9 décembre un arrêté demandant la suspension de la commercialisation des laits infantiles et le rappel de quelque 600 lots, soit 11.000 tonnes. Le retrait s'est par ailleurs révélé incomplet, certains distributeurs ayant continué à vendre des produits potentiellement contaminés pendant encore plusieurs semaines.
"Notre métier, c'est de mettre des produits sains sur le marché. Si cela n'a pas été le cas, c'est notre responsabilité", reconnaît Emmanuel Besnier, ajoutant toutefois qu'à son sens, "il n'y a pas eu de manquements de notre part sur les procédures".
Né d'une petite entreprise familiale, Lactalis est devenu un géant mondial avec 246 sites de production dans 47 pays et 75.000 collaborateurs. Comme son PDG, le groupe cultive le secret et ne publie jamais aucun chiffre financier, à l'exception de son chiffre d'affaires annuel de 17,3 milliards d'euros, réalisé à 58% en Europe, 21% en Amérique, 14% en Océanie, et 7% en Afrique.