Grève: la loi organique entre en vigueur

Publiée au Bulletin officiel en mars dernier, la loi organique sur la grève entre en vigueur la semaine prochaine.. DR

Revue de pressePublié au Bulletin officiel en mars dernier et entrant en vigueur la semaine prochaine, le texte fixe pour la première fois des règles précises en matière de procédures, de délais et de garanties. Entre reconnaissance d’une liberté constitutionnelle et impératifs de continuité des services essentiels, la réforme ouvre une nouvelle ère pour le dialogue social, mais pose aussi la question cruciale de sa mise en œuvre. Cet article est une revue de presse tirée du quotidien L’Economiste.

Le 16/09/2025 à 20h35

Après plus d’un demi-siècle d’attente, le Maroc se dote enfin d’un cadre juridique clair pour encadrer le droit de grève. «La loi organique, publiée au Bulletin officiel le 24 mars 2025, entrera en vigueur la semaine prochaine», indique le quotidien L’Economiste dans son édition du mercredi 17 septembre. Elle met fin à une situation paradoxale: alors que la Constitution garantit ce droit depuis 1962, aucun texte d’application n’était venu jusque-là en préciser les modalités.

Cette réforme marque un tournant. Elle vise à concilier l’exercice d’une liberté fondamentale avec deux impératifs: préserver l’ordre public et assurer la continuité des services essentiels. «Autrement dit, le texte consacre la grève comme outil de revendication sociale et professionnelle, mais en la plaçant dans un cadre strict destiné à éviter les dérapages et à responsabiliser l’ensemble des acteurs: syndicats, employeurs et pouvoirs publics», écrit L’Economiste.

La loi rappelle dès son premier article que la grève constitue une liberté constitutionnelle, adossée aux conventions internationales, notamment celles de l’Organisation internationale du travail. Toute tentative de renonciation à ce droit est frappée de nullité. Mais ce droit n’est pas absolu: il est soumis à un ensemble de règles qui visent à maintenir l’équilibre entre libertés individuelles, intérêts économiques et stabilité sociale.

Le texte définit la grève comme «un arrêt temporaire, total ou partiel, de l’activité professionnelle, décidé collectivement pour défendre des revendications sociales, économiques ou professionnelles». Son champ est large: salariés du privé, fonctionnaires, travailleurs domestiques et même indépendants sont concernés.

L’une des grandes nouveautés réside dans l’encadrement de la procédure. Toute grève doit être précédée d’une notification formelle, d’une phase de négociation et d’un préavis obligatoire. Les délais varient selon les cas: 45 jours pour le secteur public et les professions réglementées, 15 jours pour le privé lorsqu’un cahier revendicatif est déposé. En l’absence de dossier formel, les délais sont réduits à 30 et 7 jours respectivement.

Seule exception: lorsqu’un danger imminent pour la santé ou la sécurité des travailleurs est avéré, la loi autorise un arrêt immédiat, à condition que la situation soit documentée et notifiée. La décision de grève doit préciser l’organisation appelante, les motifs, les lieux et la durée du mouvement. Tout manquement expose ses initiateurs à des sanctions.

Le texte interdit toute entrave au droit de grève mais aussi toute atteinte à la liberté de travail des non-grévistes. Le remplacement des grévistes, le déplacement des moyens de production ou l’occupation des lieux de travail sont proscrits. En revanche, les salariés participant à une grève conforme à la loi bénéficient d’une protection renforcée contre toute sanction disciplinaire ou mesure discriminatoire. Les entreprises ou les autorités publiques conservent toutefois la possibilité de saisir la justice en référé afin de faire cesser tout abus portant atteinte à l’ordre public ou au droit au travail.

La loi consacre un régime particulier pour les secteurs considérés comme vitaux : santé, justice, transports, énergie, eau, télécommunications, audiovisuel public, distribution de médicaments et collecte des déchets. Dans ces domaines, une grève ne peut être déclenchée qu’à condition de garantir un service minimum. La liste des personnels indispensables doit être fixée d’un commun accord entre partenaires sociaux, ou à défaut, tranchée par le juge.

Certaines professions échappent totalement au droit de grève, en raison de leur rôle stratégique dans la souveraineté et la sécurité de l’État. C’est le cas des forces de sécurité, des magistrats et du personnel diplomatique.

Le dispositif se veut également dissuasif. Les amendes prévues vont de 1200 à 100.000 dirhams, avec un doublement en cas de récidive dans les quatre ans. Les infractions sanctionnées couvrent l’organisation d’une grève illégale, l’entrave à la liberté de travail, la discrimination envers des grévistes ou encore la fermeture abusive d’une entreprise.

Un salarié engagé dans une grève non conforme s’expose à des sanctions disciplinaires pour absence injustifiée. Toutefois, la loi écarte la contrainte par corps en cas d’insolvabilité avérée, lit-on encore.

«Si la loi apporte enfin une réponse à un vide juridique de plusieurs décennies, la véritable épreuve résidera dans son application», souligne L’Economiste. La question de l’équilibre entre ambition normative et réalité des rapports sociaux reste entière. Les prochains conflits sociaux constitueront un test grandeur nature: permettront-ils de mesurer l’efficacité d’un dispositif pensé pour pacifier les relations professionnelles, ou révéleront-ils ses limites face aux tensions persistantes du marché du travail marocain?

Par La Rédaction
Le 16/09/2025 à 20h35