Au milieu des années 2010, Maghreb Steel était en proie à de graves difficultés financières, qui l’avaient menée pratiquement au bord de la mise en liquidation. En cause, le timing du lancement, en 2008, d’une nouvelle aciérie dans la commune Chellalate, pour un investissement de 5,9 milliards de dirhams, qui a coïncidé avec un contexte économique mondial défavorable et une grave crise dans le secteur, marquée par une surcapacité de production et une concurrence accrue.
En mauvaise passe plusieurs années durant, l’aciérie de la famille Sekkat doit sa survie à un accord signé en 2015 avec les banques et avec l’État. Reconnaissant le caractère stratégique du sidérurgiste, ce dernier est intervenu en actionnant les clauses antidumping prévues par l’OMC, afin de protéger Maghreb Steel d’une concurrence étrangère déloyale.
Outre l’organisation du remboursement de la dette, le plan de restructuration accompagnant cet accord a prévu la mise en place d’un management indépendant des actionnaires. Mais malgré les efforts fournis pour optimiser l’outil industriel et l’organisation des ressources humaines, ce plan a vite montré ses limites: les coûts pesaient toujours lourdement sur une production qui restait à des niveaux limités.
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L’arrivée de Mohammed Yahya Zniber, nommé président du conseil d’administration en juin 2020, a donné une nouvelle impulsion à la restructuration de l’entreprise. Chimiste de renom, connu pour son rôle fédérateur au sein du cluster national de l’hydrogène vert (Green H2) -dont il est le président, le nouveau patron a poursuivi le travail de ses prédécesseurs, tout en s’attelant à explorer de nouveaux marchés et à diversifier le portefeuille commercial de Maghreb Steel. Ses efforts ont été soutenus par la hausse mondiale des prix de l’acier, qui a amélioré les marges de l’entreprise.
«Nous avons eu la chance d’avoir, pendant deux années, une envolée des cours mondiaux de l’acier qui a entraîné une amélioration de nos marges. En parallèle, suite à une étude commandée à un cabinet international de restructuration financière, les banques ont accepté d’abandonner 1,2 milliard de dirhams de dettes», affirme Mohammed Yahya Zniber.
Aujourd’hui, l’entreprise se trouve dans une situation financière plus confortable. «Nous devrons terminer l’année avec une dette à long terme de l’ordre de 1,8 milliard de dirhams, contre 4,7 milliards en 2020», se réjouit-il. Mieux, les capitaux propres culminent à 1,7 milliard de dirhams, contre une valeur négative de 800 millions de dirhams en 2020. «Nous avons une situation bilantielle nettement améliorée, qui nous permet d’aborder l’avenir avec beaucoup de sérénité», appuie le président de Maghreb Steel.
Malgré les progrès accomplis, le management est conscient qu’il reste encore du chemin à parcourir pour pérenniser l’entreprise sur une trajectoire de croissance durable. Accompagner le développement de l’écosystème et maximiser l’intégration locale dans les projets d’infrastructure: tel est le défi majeur lancé par l’équipe dirigeante.
Maghreb Steel se targue aujourd’hui d’avoir rejoint le club restreint des producteurs d’acier vert, en consommant une électricité quasiment à 100% verte. Désormais, tout en augmentant ses capacités en aval, le sidérurgiste s’emploie à cibler davantage les marchés demandeurs d’acier vert, en particulier celui de l’automobile.
Un investissement de près d’un milliard de dirhams
«L’automobile demande des grades d’acier galvanisé particuliers qui ne peuvent être réalisés avec l’outil industriel actuel. Si nous voulons nous positionner sur le marché de l’automobile de manière conséquente, nous ne pourrons le faire que dans le cadre d’une installation complémentaire», explique notre interlocuteur.
Dont acte. L’entreprise planche actuellement sur le projet d’un nouveau site industriel qui permettra d’augmenter la capacité de production et de cibler les marchés de l’automobile et de l’électroménager. Ce projet bénéficie de l’appui du ministère de l’Industrie et du Commerce, qui encourage les initiatives visant à améliorer le taux d’intégration locale dans l’industrie automobile, notamment auprès des deux constructeurs automobiles installés au Maroc, Renault Group et Stellantis.
La naissance de cette nouvelle usine se fera dans le cadre d’une joint-venture avec des partenaires industriels et/ou financiers. Selon nos informations, des pourparlers sont à un stade avancé avec le groupe suisse Duferco, qui a la particularité d’être à la fois un industriel et un négociant de l’acier sur le marché international.
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«Si tout se passe bien, le deal avec les investisseurs potentiels, les banquiers et les financiers pourrait être concrétisé vers la mi-2025», espère Mohammed Yahya Zniber. Il faut ensuite compter environ deux ans pour construire une usine de cette taille. Celle-ci, bien que portée par une entité juridique indépendante, sera implantée à l’intérieur de l’aciérie de Chellalate, fait savoir notre interlocuteur.
En gros, la nouvelle installation de Maghreb Steel va nécessiter un investissement avoisinant 1 milliard de dirhams, financé en partie par la dette. «Nous n’aurions pas pu avancer sur ce sujet sans l’accord de nos banques. Elles ont compris que l’avenir de Maghreb Steel n’est pas lié uniquement au remboursement de la dette, mais aussi à une nouvelle stratégie de diversification et de développement», note Zniber.
«Un endettement supportable pour toutes les parties»
La réalisation de ce projet ambitieux doit s’opérer en parfaite synchronisation avec la feuille de route du plan de restructuration. La nouvelle usine de l’acier galvanisé devra démarrer à un moment où Maghreb Steel aura déjà rempli ses engagements vis-à-vis des banques et de l’État.
Concernant ceux vis-à-vis des banques, le président de Maghreb Steel se veut rassurant: «Depuis 2020-2021, nous avons remboursé près de 1,5 milliard de dirhams. Nous espérons que d’ici quelques années, nous aurons remboursé la grosse majorité de l’encours de la dette. Nous avons aujourd’hui un endettement certes important, mais qui reste supportable pour toutes les parties.»
Idem concernant les engagements vis-à-vis de l’État. «Lorsque les mesures de sauvegarde négociées avec le ministère de l’Industrie et du Commerce arriveront à échéance, en 2030, nous devrions être dans une situation où l’activité est suffisante pour que nous puissions faire face à une compétition loyale», enchaîne-t-il.
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Rappelons que depuis 2015, Maghreb Steel bénéficie d’une protection douanière face à la concurrence étrangère déloyale. «L’acier étant un produit stratégique pour l’économie, tous les pays producteurs ont mis en place des mesures pour protéger l’industrie locale. Il y a lieu de préciser que le Maroc s’est contenté de mesures prévues dans le cadre des accords de l’OMC, alors que d’autres pays, comme les États-Unis, l’Europe et la Turquie, ont imposé des taxes extrêmement élevées sur l’acier importé, notamment chinois», souligne Mohammed Yahya Zniber.
Objectif: un chiffre d’affaires de 8 milliards de dirhams
D’une capacité de 350.000 tonnes, la future installation va porter à 80% le taux d’utilisation de l’aciérie de Chellalate, contre seulement 50% actuellement. Sachant que l’usine historique de Tit Mellil, d’une capacité de 300.000 tonnes, tourne déjà à plein régime, le management de Maghreb Steel table sur un chiffre d’affaires prévisionnel de 8 milliards de dirhams, incluant la nouvelle installation, contre plus de 5 milliards de dirhams attendus à fin 2024.
Les indicateurs commerciaux et financiers du sidérurgiste laissent ainsi entrevoir de belles perspectives pour l’avenir. «2024 a été une bonne année pour nous», se félicite Zniber, qui n’omet pas de saluer le dévouement et l’implication des 1.600 collaborateurs que compte le groupe. «J’insiste sur l’engagement de tous les collaborateurs, des ouvriers jusqu’aux cadres. Même dans les situations les plus difficiles et les plus compliquées, quand la survie de Maghreb Steel n’était pas assurée, tout le monde est resté sur place et a continué à se battre pour sauver l’entreprise», conclut-il.