Plus d’un mois après la mise en œuvre de l’état d’urgence sanitaire, personne n’est en mesure d’évaluer avec précision les répercussions de la crise du Covid-19 sur l’économie nationale. Ce que l’on sait en revanche, c’est que le Maroc n’échappera pas à la récession, à l’instar du reste du monde. Chaque institution y va de ses prévisions.
Les résultats d’une enquête publiée ce mercredi par le Haut Commissariat au Plan (HCP) font état de 726.000 salariés mis au chômage début avril et plus de 142.000 entreprises en situation d’arrêt de travail à cause du Covid-19.
57% des sociétés recensées ont déclaré avoir arrêté définitivement ou temporairement leurs activités. Tourisme, export, transferts des Marocains résidents à l’étranger (MRE), Investissements directs étrangers (IDE), tous les secteurs pourvoyeurs de devises devraient accuser cette année une forte baisse.
Mardi 7 avril 2020, le Maroc a dû recourir pour la première fois à un tirage sur la Ligne de précaution et de liquidité (LPL) du FMI pour atténuer l’impact de cette crise et maintenir les réserves de change à un niveau confortable.
«La décision du tirage sur la LPL ainsi que son niveau ont été basés sur un scénario de chocs extrêmes où la crise du Covid-19 durera au delà du mois de juin et affectera l’ensemble de l’année 2020, avec une reprise attendue à partir de 2021», a affirmé la directrice du Trésor et des finances extérieures, Fouzia Zaaboul, dans un entretien pour Le360.
Seulement voilà, la pandémie n'est pas près d'être vaincue. «Ne vous y trompez pas: nous avons encore un long chemin à parcourir. Ce virus nous accompagnera pendant longtemps», a prévenu, hier mercredi 23 avril, le directeur général de l'Organisation mondiale de la santé (OMS), Tedros Adhanom Ghebreyesus depuis Genève.
Cela veut dire que la crise risque fort de se prolonger, ce qui rend prématurées les multiples prédictions du moment.
Craignant un épuisement des réserves de change, de plus en plus de voix s’élèvent en faveur de l’introduction de restrictions sur les sorties de devises (transfert de dividendes, importations, dotation touristique, etc.).
Certains économistes n’hésitent pas à recommander l’abandon du dogme de l’équilibre budgétaire pour financer la crise, quitte à faire fonctionner la planche à billets. Nous avons voulu savoir ce qu’en pense le wali de Bank Al-Maghrib, Abdellatif Jouahri. Voici ses réponses.
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Dans un scénario de choc extrême, si la crise sanitaire venait à se prolonger encore quelques mois, comment faire pour éviter une crise de la balance des paiements? Seriez-vous favorable à un retour aux restrictions à l’import, comme cela fut le cas au cours des années 1980?
D’abord, j’espère que nous ne serons pas dans cette configuration. Maintenant, comme vous le savez, il y a un Comité de veille économique, qui a pris plusieurs décisions jusqu’à présent et qui sont de nature à atténuer l’impact social et économique de la crise. Il se réunit de manière régulière pour évaluer la situation. Evidemment, si celle-ci venait à se détériorer, il sera amené à réagir.
Pour ce qui est de la balance des paiements en particulier, il faudrait d’abord rappeler que dans une approche préventive, nous avons effectué le tirage sur la Ligne de précaution et de liquidité (LPL) pour 2,9 milliards de dollars. Ce montant est venu renforcer le stock de réserves qui couvrait déjà autour de 5 mois d’importations de biens et services.
Outre ce tirage, le Maroc, en tant que membre du FMI, peut toujours recourir, si besoin, aux ressources du Fonds ou à d’autres bailleurs comme la Banque mondiale ou la BAD. De même, il peut s’adresser au marché international où, comme cela a été le cas l’année dernière, il peut mettre à profit sa notation pour obtenir des conditions favorables. Donc il y a encore une grande marge de manœuvre en termes d’emprunt extérieur, d’autant plus que le taux d’endettement externe du Trésor est relativement bas.
Si tout cela s’avère insuffisant, le pays pourrait marquer un arrêt temporaire dans le processus de libéralisation de la règlementation de change, voire même la resserrer, mais ça doit être des actions temporaires. Il ne faut pas oublier qu’on est devant une pandémie mondiale et que si chaque pays envisage des restrictions sur ses importations, tout le monde sera perdant.
Peut-on envisager, par exemple, une suspension du transfert des dividendes des firmes étrangères basées au Maroc?
Comme je viens de le préciser, le Maroc dispose de marges importantes et si besoin, il faudrait commencer d’abord par les utiliser. Il ne faut pas envisager un retour sur nos lois et notre règlementation que comme solution de dernier ressort.
La crise que nous traversons finira un jour. Le scénario central étant qu’elle se dissipera sur le reste de l’année et l’activité économique devrait s’inscrire en reprise, laquelle, je l'espère, sera rapide. Il ne faut donc pas qu’elle emporte avec elle les efforts que le Maroc a consentis pendant des années pour forger l’image d’une économie stable qui offre de la visibilité à ses partenaires économiques et aux investisseurs.
C’est important d’éviter dans la mesure du possible que les mesures prises au cours de la crise aient un impact dommageable pour l’après-crise.
Vous êtes l’un des plus fervents défenseurs des équilibres macroéconomiques. Seriez-vous prêt à changer d’avis au vu de l’ampleur de la crise que nous vivons aujourd’hui? Quel regard portez-vous sur ce débat enclenché au sujet d’un éventuel gel de la dépense publique?
Dans une situation comme celle que nous vivons actuellement, il est évident que la priorité est la préservation de la santé et de la vie des citoyens. Si cela requiert de déroger à la rigueur en matière de gestion des équilibres, évidemment qu’il ne faut pas hésiter un instant. Cela dit, je pense au contraire, que c’est en période de crise qu’on réalise à quel point c’est important de préserver ses équilibres macro-économiques. C’est cela qui nous donne aujourd’hui une marge pour dépenser davantage et mobiliser les financements nécessaires aussi bien internes qu’externes. Lorsque les choses iront mieux, on devra commencer graduellement à rétablir ses équilibres et à reconstituer les marges pour renforcer la résilience de l’économie et la préparer au cas où des chocs surviennent dans le futur.