Entre sécheresse chronique, montée en puissance du dessalement et ambitions industrielles exigeantes, les solutions conventionnelles ne suffisent plus. Dans ce contexte tendu, le nucléaire réapparaît dans le débat stratégique, non plus comme un tabou technologique, mais comme une éventualité sérieuse. «Derrière les accords diplomatiques et les acronymes techniques se profile une interrogation majeure: l’atome doit-il devenir un pilier du mix énergétique marocain du XXIe siècle?», s’interroge le magazine Finances News Hebdo dans une analyse dédiée.
Longtemps cantonné à l’arrière-plan, le sujet s’est imposé par touches successives. Fin 2023, l’Agence internationale de l’énergie atomique salue les progrès du Royaume en matière de sûreté. Peu après, la ministre de la Transition énergétique, Leïla Benali, confirme qu’une réflexion est en cours sur l’intégration du nucléaire civil, notamment via les Small Modular Reactors, ces réacteurs de nouvelle génération aux puissances réduites. Moscou signe dans la foulée un accord de coopération, Paris se dit prête à partager son savoir-faire, et le paysage s’éclaire soudain: l’option nucléaire n’est plus hypothétique. «Elle répond à une double contrainte mise en lumière par une étude publiée le 29 août 2025: sécuriser l’approvisionnement électrique sur le long terme et accélérer la décarbonation. Mais l’atome», avertit Finances News, n’est ni une solution miracle ni un gadget technologique. C’est un choix structurant qui engage un pays pour un siècle.
Sur le papier, le Maroc dispose aujourd’hui des capacités nécessaires. Le solaire et l’éolien ont diversifié un mix longtemps dominé par le charbon. Mais la réalité est plus fragile qu’il n’y paraît. Le facteur de charge hydraulique s’est effondré, conséquence directe d’une sécheresse devenue structurelle. Les renouvelables, par nature intermittentes, nécessitent des solutions d’appoint. Et le dessalement massif de l’eau de mer, désormais incontournable, promet d’alourdir considérablement la facture énergétique.
C’est ici que le nucléaire change de dimension. Cité par Finances News Hebdo, le consultant Charaf Louhmadi explique que «le nucléaire constitue une réponse crédible à la croissance industrielle et à l’explosion attendue de la production d’eau dessalée, qui pourrait atteindre 2,3 milliards de mètres cubes par an d’ici 2040». Les centrales nucléaires, avec la chaleur qu’elles dégagent, pourraient en effet alimenter des procédés de distillation énergivores, déjà courants dans les pays du Golfe. Dès lors, la question n’est plus de savoir si le Maroc en a besoin aujourd’hui, mais s’il peut se permettre d’exclure l’atome de son horizon 2040.
L’étude précitée met l’accent sur les SMR, réacteurs compacts de 70 à 470 MW, assemblables par modules et beaucoup moins coûteux qu’un EPR. Un SMR de 300 MW représenterait un investissement de 15 à 20 milliards de dirhams, quand un EPR dépasse 80 milliards. Leur construction serait plus rapide, leur facteur de charge proche de 90%, et leur empreinte carbone parmi les plus faibles du secteur énergétique.
Mais la technologie n’efface pas les risques. Les SMR sont produits par un nombre très limité de pays, dominé par la Russie et la Chine. Louhmadi insiste: opter pour ces technologies, c’est aussi accepter une dépendance stratégique. Rosatom s’est déjà imposée dans plusieurs pays d’Asie et du Moyen-Orient, avec un combustible au format propriétaire, renforçant l’emprise technologique russe. Choisir un fournisseur, c’est aussi choisir un alignement diplomatique.
À cette dépendance s’ajoute celle du combustible. Le Maroc ne produit pas d’uranium enrichi et devrait l’importer auprès de Rosatom, Urenco, Orano ou CNNC. La Russie détient près de la moitié du marché mondial. Mais un levier existe: l’uranium contenu dans les roches phosphatées du Royaume. L’OCP, via la start-up Uranext et l’UM6P, a lancé une unité d’extraction de yellowcake à El Jadida, un investissement de plus de 100 millions de dollars. De quoi donner au Maroc la maîtrise d’une partie de la chaîne de valeur et un potentiel exportateur, même si l’enrichissement resterait externalisé.
Le pays doit aussi affronter d’autres défis: la gestion des déchets radioactifs, qui impose des solutions très coûteuses, probablement externalisées; la mise en place d’une autorité de sûreté nucléaire forte et indépendante; et la modernisation du réseau électrique de l’ONEE, indispensable pour absorber une production continue de plusieurs centaines de mégawatts sans risque de surcharge. Un réseau instable obligerait à réduire la puissance ou arrêter les réacteurs, un scénario économiquement intenable.
«La question du financement reste tout aussi sensible», relève Finances News. Même un programme limité à quelques SMR représente des dizaines de milliards de dirhams. L’État ne pourrait porter seul ces investissements. Les modèles étrangers montrent la voie : prêts d’État, partenariats public-privé, montages hybrides. Mais ces schémas augmenteraient la dépendance aux bailleurs internationaux.








