Le chômage doit-il être vécu comme une fatalité? L’imagination des Marocains est-elle à ce point stérile pour les placer dans l’incapacité de produire des solutions au sous-emploi de nos ressources humaines? Le besoin de solutions est d’autant plus urgent qu’il y a de fortes probabilités pour que la situation devienne plus problématique avec l’arrivée massive de demandes supplémentaires émanant de campagnes de moins en moins attractives, parce que non productives, du fait de la sécheresse qui s’installe durablement.
Le Maroc perd nombre de ses cache-misère ces dernières années. Je serais tenté de dire tant mieux, non par vindicte à l’égard d’une quelconque partie, mais tout simplement parce que cela oblige à accorder l’attention nécessaire aux parties oubliées de la population.
Est-ce utile de rappeler enfin que l’oisiveté est mauvaise conseillère et que la stabilité sociale qui nous est très chère peut s’en ressentir?
Parmi les contributions dignes d’intérêt qui ont essayé d’entamer le débat au sujet de l’emploi, il y a un document sur le sujet que le Rassemblement national des indépendants (RNI) avait remis à la Commission spéciale pour un nouveau modèle de développement. Sans afficher de prétentions pouvant laisser croire qu’on peut réinventer l’économie politique ou changer les structures d’une économie (elles sont ce qu’elles sont), de manière réaliste, ce document a prôné une tertiairisation plus prononcée de l’économie en encourageant le tourisme, l’artisanat et les services de proximité, l’accélération de l’industrialisation, et le passage d’une politique agricole à une politique rurale, avec la création de villes de dimension intermédiaire pouvant jouer le rôle de locomotives de développement et de tampons réducteurs de tension entre la campagne et les grandes villes. Il a rappelé enfin que toute politique de développement devait combiner l’approche sectorielle et spatiale (cf. Code de l’investissement).
En son temps, j’avais regretté certains oublis ou le manque d’insistance de la contribution, notamment sur le rôle-clé que devrait jouer le secteur de l’habitat, autre grand pourvoyeur d’emplois, ainsi que certaines activités exportatrices, l’économie sociale et le secteur transverse de l’énergie. Sans ce dernier, rien de sérieux ne peut se faire dans une économie qui a des prétentions de modernisation.
Sans se caractériser par une grande originalité ni comporter des propositions nouvelles -l’expérience étrangère a été largement mise à contribution et aucune proposition de nouveaux secteurs d’activité ni de nouveaux écosystèmes n’a été formulée-, la forme et le fond offraient un intérêt certain, comme déjà rappelé.
L’intérêt du document a redoublé quand le parti qui l’a présenté a obtenu la majorité lors des élections qui ont suivi et que son président a été nommé Chef de gouvernement.
D’où une question supplémentaire: comment des propositions «sérieuses», contenant des pistes pouvant servir de support à une politique ambitieuse de création d’emplois, n’ont pas trouvé concrétisation, alors que son porteur est le parti qui a pris la responsabilité du gouvernement?
Écartons de suite la justification trop facile, car simpliste, que les partis sont appelés au pouvoir pour appliquer un programme autre que le leur. S’ils disposent d’un programme intéressant et applicable, il sera retenu en complément des autres. L’État est regardant sur les grands chantiers pluriannuels en règle générale: l’État social, la régionalisation, les grands travaux d’infrastructure, la reconstruction d’Al Haouz… Les ministres du gouvernement peuvent faire étalage de leurs compétences gestionnaires dans les domaines restants et ils sont nombreux.
Un début de réponse peut se trouver dans le choix des profils mis à la tête de ces secteurs productifs et les objectifs qui leur ont été assignés. On aurait pu s’attendre à ce que ces secteurs soient chapeautés par des gestionnaires aguerris, capables de mettre en place de véritables stratégies de développement et des plans d’action pouvant les engager sur des réalisations concrètes, quantifiables en termes de croissance et de création d’emplois. À la place, peut-être à une exception près, on a eu droit à des ministres tétanisés par la fonction, les faisant sombrer dans un mutisme inquiétant, d’autres qui prennent beaucoup de libertés avec les chiffres, croyant duper une opinion publique avertie, ou un autre ayant perdu deux années à lancer une chasse aux sorcières dans un secteur compliqué qui manifestement le dépasse. Les exemples peuvent être multipliés. Peut-être que le choix de ces profils a-t-il été le fruit d’une confiance excessive d’un Chef de gouvernement adepte de la gestion verticale, voulant s’occuper directement des secteurs productifs et ne voulant pas s’embarrasser de profils plus robustes? Dans tous les cas, les résultats sont parlants. Les secteurs productifs ne créent pas ou créent un nombre insuffisant d’emplois. La gouvernance endosse une grande part de responsabilité, c’est évident.
Dernièrement, des experts internationaux en visite au Maroc reconnaissaient un certain dynamisme du pays, se traduisant par la multiplicité des chantiers et… des déclarations. Ils n’ont toutefois pas manqué de marquer leur étonnement quant aux modestes résultats des actions entreprises en termes… de croissance et de création d’emplois.
En attendant le diagnostic et les recommandations de ces experts, laissons le loisir à votre serviteur de formuler l’espoir que le Chef du gouvernement ait pris le temps de réfléchir à la meilleure configuration possible d’une future équipe gouvernementale, au cas où un remaniement serait encore à l’ordre du jour. Une équipe dirigée avec une culture de leadership, capable de gérer les secteurs productifs avec une vision, dans leur globalité, de manière cohérente et pouvant dégager les synergies utiles. Pour cela, il ne faut pas hésiter à recourir aux profils appropriés.
Le Chef du gouvernement souhaite consacrer le temps qui nous sépare des prochaines élections à la création d’emplois. Sage décision. Ayant été aussi, dans une autre vie, chef d’entreprise, nous ne pouvons que croire qu’il fera le nécessaire pour revoir ses méthodes et calculs, vu que les résultats ne sont pas au rendez-vous. Sinon, il court le risque de contribuer à faire regretter aux Marocains le contenu de l’article 47 de la Constitution du Royaume adoptée en 2011.