La future réforme de la commande publique marquera sans doute un tournant majeur d’un secteur qui représente près de 20% du PIB national et est devenu l’un des instruments centraux de la stratégie budgétaire du Royaume. Selon la Trésorerie générale du Royaume (TGR), plus de 37.000 appels d’offres ont été publiés sur le Portail marocain des marchés publics (PMMP) entre janvier et septembre 2025, contre 31.000 un an plus tôt, confirmant la vitalité d’un secteur en pleine mutation.
Le système des bons de commande, longtemps outil privilégié de gestion rapide des dépenses publiques, s’est révélé inadapté face à la complexité croissante des besoins de l’administration. «Nous faisons face à des difficultés pratiques», a reconnu Nadia Fettah, évoquant des cas de fragmentation artificielle de dépenses, de retards de paiement et de marges d’interprétation trop larges pour les acheteurs publics.
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La réponse gouvernementale repose sur un nouveau décret d’exécution, actuellement en phase finale d’élaboration, destiné à moderniser ce dispositif. Celui-ci introduit une gestion centralisée des bons de commande, avec des seuils de déclenchement révisés, un contrôle automatisé des engagements et la traçabilité intégrale via le système intégré de gestion de la dépense publique.
Dans la logique de l’article 6 du décret 2.22.431, les bons de commande devront désormais obéir aux mêmes principes de publicité, d’équité et de concurrence que les marchés formalisés. Le ministère y voit un moyen d’éviter les contournements réglementaires et de renforcer la crédibilité du processus budgétaire.
Au-delà de l’ingénierie administrative, la réforme vise une transformation culturelle: celle d’une dépense publique traçable et mesurable. La généralisation de la dématérialisation, entamée en 2020 et désormais quasi complète, constitue une avancée majeure.
Selon la TGR, plus de 95% des appels d’offres sont aujourd’hui publiés en ligne, et près de 70% des offres sont déposées électroniquement. Ces chiffres traduisent un changement de paradigme: l’accès équitable à l’information, jadis limité par les procédures papier, devient la norme. La Banque mondiale souligne dans son rapport 2024 sur la gouvernance numérique que la plateforme marocaine «fait partie des systèmes d’e-procurement les plus avancés du continent».
Les retombées sont mesurables: les délais moyens d’attribution sont passés de 58 jours en 2017 à 34 jours en 2024, selon les données officielles du ministère des Finances. Les délais de paiement, eux, ont reculé à 17,5 jours en 2023 pour les fournisseurs de l’État, contre plus de 40 jours quatre ans auparavant. Ces gains d’efficacité représentent un atout essentiel pour les PME marocaines, souvent vulnérables aux tensions de trésorerie.
Une réforme au cœur de la relance et de la discipline budgétaire
La commande publique constitue l’un des principaux canaux de relance et de stabilisation. En 2025, l’investissement public a atteint 335 milliards de dirhams, soit l’équivalent de 20% du PIB, un niveau inédit selon les estimations de la Banque européenne d’investissement (BEI).
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L’un des acquis réside dans la réservation de 30% des marchés publics aux PME, disposition déjà en vigueur, mais désormais encadrée par des mécanismes de contrôle. En 2023, selon la TGR, la part effective atteignait 35%, traduisant une ouverture accrue de la commande publique au tissu entrepreneurial local.
La réforme des commandes publiques s’articule avec la stratégie nationale d’intégrité portée par l’Instance nationale de la probité et de la prévention de la corruption (INPPLC). En 2024, plus de 4.500 acheteurs publics ont été formés aux nouvelles obligations de transparence.
Malgré ces avancées, la ministre Fettah reconnaît que «la réforme est un processus vivant». Des défis subsistent: hétérogénéité des pratiques entre administrations, capacités inégales de gestion au niveau local, et besoin d’accompagnement technique pour les petites entreprises. Cependant, la numérisation intégrale, la transparence en temps réel et l’efficacité budgétaire restent les vrais enjeux de la gouvernance publique dans un contexte de croissance modérée – autour de 3,5% attendus en 2026, selon le Haut-commissariat au plan –, chaque point d’efficacité administrative compte.








