Yamou travaille dans la nature et sur la nature

L'artiste plasticien Abderrahim Yamou.

TribuneÀ l’occasion de l’exposition de Yamou à la galerie Delacroix, à Tanger, l’historien de l’art Brahim Alaoui livre une lecture du travail de l’artiste plasticien à travers le prisme de son lien intime avec le vivant et les plantes. Un travail qui, par l’association des pratiques artistiques avec les pratiques scientifiques, offre un beau témoignage d’une culture de la durabilité.

Le 16/12/2024 à 11h27

Abderrahim Yamou est animé d’un profond désir de nature depuis toujours et se tourne vers elle pour trouver l’inspiration et la matière pour exprimer sa préoccupation face aux défis environnementaux auxquels nous sommes confrontés.

Il faut rappeler qu’avant d’embrasser une carrière artistique, Yamou a entrepris des études de biologie à Toulouse, en 1978, où il a appréhendé le monde du vivant et les lois de la vie. Cela va influer sur son processus créatif lorsqu’il décidera de se consacrer à l’art.

Il s’installe dans la banlieue parisienne en 1986, dans un environnement urbain dépourvu de végétation, ce qui suscite en lui un besoin profond de renouer avec la nature en partant de ses acquis scientifiques et en se fiant à son imagination fertile.

Il commence par peindre des tableaux imprégnés d’un vocabulaire formel inspiré de la biologie, tel que les organismes cellulaires, les mitochondries ou les molécules, pour raconter à sa manière le vivant et son lien avec la nature. Cette approche microscopique lui permet de représenter les plus petits organismes vivants en leur conférant des allures grandioses, tel un univers cosmique.

Désirant s’immerger dans la nature, Yamou s’installe en 2005 à Tahanaout, au pied de l’Atlas, dans les environs de Marrakech. Il y construit une maison-atelier et aménage un jardin féerique. Dès lors, l’artiste «travaille dans la nature et sur la nature», comme il se plaît à le dire. Il y contemple le paysage et observe de près les plantes qui naissent, fleurissent, libèrent des graines et meurent au cours de leur processus cyclique. Cette communion avec la nature permet à Yamou de faire rimer art avec écologie à travers des compositions qui allient recherche esthétique et énergie vitale.

«Abderrahim Yamou contribue au renouvellement des représentations et pratiques artistiques à partir de la réflexion écologique, et s’engage ainsi d’une manière créative sur les défis du 21ème siècle.»

L’actuelle exposition de Yamou à la galerie Delacroix, à Tanger, vient à point nommé pour mieux appréhender la richesse d’une œuvre multiforme et la trajectoire rigoureuse d’un artiste qui demeure fidèle à son engagement envers la nature depuis plus de trois décennies. À travers une scénographie répartie en trois séquences, cette exposition invite à nous acheminer progressivement dans l’univers artistique et les préoccupations de Yamou.

Cécité

D’emblée, Yamou nous alerte sur la cécité des humains face à l’urgence environnementale et au risque de compromettre la capacité des générations futures à apprécier la nature. Il recourt à la métaphore en exposant de grands dessins en noir et blanc, représentant des non-voyants qui, malgré leur handicap, explorent et savourent la nature qui peut aussi s’entendre, se sentir et se toucher.

Sublimation de la nature

Ensuite, Yamou nous introduit dans ses paysages à travers des «fenêtres» qui leur procurent une certaine profondeur de champ et leur confèrent une vision poétique. Des paysages imaginaires, plus suggestifs que descriptifs, dépeints de façon minutieuse et grandiose, et donnant souvent une place de choix au ciel et à ses variations. Des paysages qui invitent à la délectation et qui suscitent une réflexion sur la nécessité de les préserver afin de conserver leur beauté et leur biodiversité.

État d’urgence

Enfin, Yamou nous invite à partager avec lui ses réflexions et ses expériences sur la vie et la mort des plantes, élaborées dans son atelier-laboratoire. Il y conçoit des sculptures sur troncs d’arbre, recouvertes en partie de clous et surmontées de réceptacles accueillant de la terre ensemencée, de telle manière que les plantes y poussent, croissent puis meurent.

Il conçoit d’autres sculptures-plantes permettant l’observation de leur cycle de vie en toute autonomie et économie de moyens. Par l’association des pratiques artistiques avec les pratiques scientifiques, Yamou nous offre un beau témoignage d’une culture de la durabilité.

Abderrahim Yamou contribue ainsi au renouvellement des représentations et pratiques artistiques à partir de la réflexion écologique et s’engage d’une manière créative sur les défis du 21ème siècle.

Par Brahim Alaoui
Le 16/12/2024 à 11h27