Simone Bitton, dont la filmographie riche et engagée comprend des œuvres telles que «Mur»(2004), un regard bouleversant sur le mur de séparation en Palestine, «Rachel»(2009), une enquête sur la mort tragique de la pacifiste américaine Rachel Corrie, ou encore «Ziyara»(2021), une rencontre des gardiens musulmans de la mémoire juive, s’inscrit dans une démarche artistique qui explore les identités, les mémoires et les frontières.
Avec le film-lettre «Les 1001 jours du Hajj Edmond», présenté en avant-première lors du 21ème Festival international du film de Marrakech, elle rend hommage à un grand nom de la littérature marocaine. Dans cet entretien, la réalisatrice juive franco-marocaine revient sur la genèse de ce documentaire, ses propres motivations et son attachement à la personne de feu Edmond Amran El Maleh.
Le360: Pourquoi avez-vous choisi le format du film-lettre pour raconter l’histoire d’Edmond Amran El Maleh ?
Simone Bitton: J’ai longtemps enseigné le cinéma documentaire à Paris, où je demandais souvent à mes étudiants de réaliser de courts films-lettres. Curieusement, je n’avais jamais expérimenté ce format moi-même. Ce projet m’a offert l’occasion d’écrire une lettre personnelle à Edmond, que j’ai eu la chance de connaître. Je voulais m’adresser directement à lui, ce qui est inhabituel dans mon travail, où je préfère m’effacer devant mes sujets.
Était-ce une évidence pour vous que la première du film ait lieu au Maroc ?
C’était en tout cas un souhait très cher, que j’ai pu réaliser grâce à Rémi Bonhomme et aux programmateurs du Festival international du film de Marrakech. Il me tenait à cœur que les premiers regards sur ce film soient marocains. Je suis persuadée que cela aurait également eu beaucoup d’importance pour Edmond.
Pourquoi était-il essentiel de tourner dans les lieux précis qu’il a fréquentés ?
J’accorde une grande importance à la rigueur et à la précision dans l’enquête documentaire. Lorsque je travaille sur un sujet biographique, je m’efforce de filmer les lieux exacts où la personne a vécu. Pour ce film, j’ai mené un travail minutieux pour retrouver les maisons et appartements liés à Edmond: la maison de son grand-père à Essaouira, celle où il est né chez sa grand-mère maternelle, son appartement à Rabat, ou encore celui du boulevard de Paris à Casablanca, et sur celui-là, je précise dans le film que je ne suis pas sûre. Ces lieux racontent une histoire, celle du temps qui passe, et leur authenticité apporte une profondeur unique au récit.
Que souhaitez-vous que le public retienne de ce film consacré à Edmond Amran El Maleh ?
J’aimerais que le public se souvienne de tout: de son immense valeur littéraire, de son rôle dans la lutte pour l’indépendance du Maroc, de ses écrits sur l’art plastique marocain, et bien sûr, de l’homme qu’il était. Edmond était une figure de rassemblement, notamment pour les jeunes générations. Il était également profondément engagé en faveur de la cause palestinienne, un aspect essentiel de sa vie que j’ai voulu mettre en lumière. À travers ce film, je souhaite qu’on découvre, ou qu’on redécouvre cet intellectuel, écrivain et militant hors du commun.
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Pensez-vous que ce film pourrait relancer l’intérêt pour ses œuvres?
Je l’espère vivement. De nombreux jeunes m’ont confié qu’ils connaissaient son nom, mais qu’ils n’avaient jamais lu ses textes, qu’ils trouvaient difficiles d’accès ou peu diffusés. Si ce film peut contribuer à faire traduire et enseigner ses œuvres, ce serait une formidable réussite.
Vous considérez-vous uniquement comme réalisatrice, ou également comme historienne à travers vos documentaires ?
Je me considère avant tout comme cinéaste. Cependant, je pense que le cinéma documentaire est un allié précieux des historiens. Nos films, lorsqu’ils sont réalisés avec sincérité et intégrité, constituent des archives vivantes pour les historiens de demain. Nous leur offrons une matière qui complète les documents écrits et les photographies.
Avec des films comme Ziyara, cherchez-vous à raviver la flamme du judaïsme marocain ?
Mon objectif n’est pas de raviver la flamme, mais plutôt de raconter une histoire, celle d’un judaïsme marocain lumineux, malgré des périodes difficiles. C’est une expérience unique, différente de celle du judaïsme européen, et elle mérite d’être transmise. Aujourd’hui, cette histoire tend à disparaître, mais je me sens investie d’une mission: la préserver et la partager tant que c’est encore possible.
Croyez-vous en une paix durable au Proche-Orient ?
Ces derniers temps, le désespoir semble souvent l’emporter. Mais il ne faut jamais perdre espoir, tout en agissant pour que le carnage cesse. En tant que citoyens, nous devons exiger de nos dirigeants qu’ils appliquent le droit international et mettent fin à ces atrocités. La paix est possible, mais elle passe par une justice réelle et la fin de l’impunité.