"Le cinéma est ma vie parce que sinon je serais seulement un fantôme et tous les rapports avec les autres se dissoudraient dans le brouillard", disait Vittorio Taviani, indissociable de son frère Paolo, de deux ans son cadet.
Un duo unique (avec peut-être les frères Dardenne) qui parlait toujours d'une même voix, et écrivait à quatre mains ses colères, ses indignations, mais aussi son amour de l'art et de la beauté.
"Nous ne voyons pas comment nous pourrions travailler l'un sans l'autre. (...) Tant que nous pourrons mystérieusement respirer au même rythme, nous ferons des films ensemble", affirmaient les deux cinéastes qui, en 1977, se comparaient au café au lait: "Impossible de dire où finit le café et où commence le lait!".
Fortement inspirés par le maître du néo-réalisme Roberto Rosselini, mais aussi par Vittorio De Sica, les deux frères, fils d'un avocat antifasciste, se sont intéressés dès leurs débuts, dans les années 1960, aux thèmes sociaux. Et leur cinéma s'est vite distingué par un style singulier où se mêlent histoire, psychanalyse et poésie.
"C'est un jour triste pour la culture, un des plus grands maîtres de notre cinéma s'en va", a déclaré dans un communiqué le ministre italien de la Culture, Dario Franceschini. "Don, bonté, humilité. Classe. L’homme à la casquette, qui le distinguait de Paolo. Je peux dire avec Scola:+ nous nous sommes tant aimés+. La nuit de San Lorenzo est leur chef d’œuvre", a réagi sur Twitter Gilles Jacob, ancien président du festival de Cannes.
Après une série de documentaires, les frères Taviani réalisent leur premier long métrage "Un homme à brûler" (1962), qui raconte l'histoire d'un syndicaliste marxiste en lutte contre la mafia sicilienne.
Ils s'emparent l'année suivante du thème du divorce avec la comédie "Les hors-la-loi du mariage", interprété par Ugo Tognazzi et Annie Girardot, avant de réaliser "Sous le signe du scorpion", une allégorie des évènements de l'année 1968.
«Jamais on ne capitule»
Ce n'est qu'en 1974, avec "Allonsanfan", évocation de l'Italie post-napoléonienne et de l'échec des troubles révolutionnaires qui éclatèrent à l'époque, qu'ils obtiennent leur premier succès international.
Beaucoup de leurs films sont inspirés d'oeuvres littéraires: "Les affinités électives" adaptées de Goethe, ou "Padre padrone" tiré du roman éponyme de Gavino Ledda, qui raconte la rude destinée d'un enfant sarde élevé par un berger. Présenté au festival de Cannes où il suscite une polémique en raison de sa dureté, "Padre padrone" n'en reçoit pas moins la Palme d'or.
Le thème de l'enfance est également au coeur de "La Nuit de San Lorenzo" (1982, Grand prix spécial du jury de Cannes).
Vittorio et Paolo se rendent cinq ans plus tard aux Etats-Unis, où ils tournent "Good morning babylon" peinture satirique de Hollywood.
Grands admirateurs du dramaturge et romancier sicilien Luigi Pirandello, ils adaptent plusieurs de ses récits dans "Kaos", film surréaliste en deux volets en forme de réflexion sur les désordres et la cruauté de la vie, qui dénonce le fascisme et la mafia.
Après un retour au documentaire avec "Un autre monde est possible", tourné lors du G8 de Gênes (2001) avec le cinéaste Gillo Pontecorvo, qui dénonce les effets dévastateurs de la mondialisation, ils reviennent à la fiction avec "Le Mas des alouettes"(2007).
En 2012, avec "César doit mourir" ils racontent l'univers carcéral autrement, à travers la préparation d'une pièce de Shakespeare dans la prison romaine de Rebibbia.
Le film, récompensé par l'Ours d'or à Berlin, raconte comment des détenus se libèrent de leurs geôles grâce à l'art, mais prennent en même temps conscience de leur enfermement.
"Jamais on ne capitule. On dit qu'en vieillissant, on est plus généreux, plus tolérant. C'est faux. Nous avons toujours le même instinct de rébellion", disaient-ils à l'époque.
Pour la première fois en un demi-siècle, Paolo réalisera seul son premier long métrage en 2017, "Une Affaire personnelle", histoire d'amour sur fond de Résistance dans le Piémont de 1943.