Journaliste engagé ayant collaboré pendant une vingtaine d’années avec le quotidien Le Monde, Jean Lacouture est décédé chez lui, à Roussillon (Vaucluse) «paisiblement et dans la sérénité», a indiqué sa fille, Dominique Miollan-Lacouture, qui a précisé qu’une cérémonie serait organisée en septembre à Paris pour lui rendre hommage.L'écrivain et journaliste Jean Lacouture, mort jeudi à l'âge de 94 ans, a associé son nom aux grands personnages du XXe siècle, auxquels il a consacré des biographies monumentales, révélatrices d'une fascination pour le pouvoir qui a parfois nui à la pertinence de son analyse. Blum, Mauriac, Malraux, Nasser, Hô Chi Minh, Mendès France, Champollion, de Gaulle et, enfin, Mitterrand sont tour à tour passés au crible Lacouture.
Amoureux de l'Histoire et de ceux qui en changent le cours, il témoignait d'une imposante capacité de travail et de synthèse, en accumulant anecdotes et détails inconnus du public, dans lesquels il voulait voir la réalité du pouvoir politique et intellectuel.
Né en 1921 dans une famille de la bourgeoisie bordelaise, diplômé de l'Ecole libre des sciences politiques, le jeune Lacouture reste, de son propre aveu, insensible à l'appel du 18 juin 1940 du général de Gaulle. Il estimera plus tard "avoir manqué sa guerre".A la fin de la Seconde guerre mondiale, il devient l'attaché de presse du général Leclerc et découvre l'Indochine où il fréquente les grands acteurs du dossier indochinois, du commissaire de la République Jean Sainteny au général Giap et Hô Chi Minh, pour lequel il ne cache pas son admiration. Il goûte alors à l'ivresse de l'Histoire dont il gardera la passion.
Journaliste, il collabore à Combat, France-Soir, au Nouvel Observateur, puis devient chef du service Outre-mer et grand reporter au Monde (1957-1975).
Autocritique
Mais c'est comme biographe que Jean Lacouture va acquérir sa notoriété. Souvent plébiscité par le grand public et les intellectuels, le petit homme séduit ses interlocuteurs avec son accent discrètement méridional et un regard malicieux plein de sous-entendus.
D'autres critiquent sa tendance à l'hagiographie et aux récits d'histoire immédiate, jugés parfois complaisants. On lui reproche notamment une condamnation tardive du régime Khmer rouge et de son chef Pol Pot : il met trois ans à reconnaître l'existence du génocide cambodgien.
En 1989, Lacouture fera amende honorable avec "Enquête sur l'auteur", un récit en forme d'autocritique dans lequel il reconnaît avoir parfois "au chaud contact des personnalités", confondu "empathie et lucidité".
Un amoureux du rugbySe consacrant entièrement à son travail d'écrivain, il publie en 1989 un "Champollion" qui sera l'un de ses grands succès et une monumentale histoire des Jésuites, en deux volumes (1991-92), saluée par de nombreux spécialistes.
Amoureux du rugby, sur lequel il écrit de belles pages pour Le Monde dans les années 70, il publie "Voyous et gentlemen, une histoire de rugby" en 1993, qu'il aurait voulu, forcément, intituler "Une biographie du rugby".
En 1998, il consacre deux volumes à François Mitterrand mais sort "très amer" de ce travail, même s'il se refuse à accabler un homme dont l'image etait déjà ternie par les affaires. "Il manque (à l'ouvrage) quelques coups de canifs. Mais le désamour est tel que je n'ai pas voulu en rajouter", confesse-t-il alors.
Travailleur infatigable, Jean Lacouture devait encore écrire une trentaine d'ouvrages, certains co-écrits avec son épouse Simone et d'autres consacrés notamment à la grande résistante Germaine Tillion, mais aussi à Montaigne, Montesquieu, Stendhal ou Alexandre Dumas, prenant avec l'âge de la distance avec son siècle, qui était sa grande passion.