Fascinante mise en scène des reflux toujours désordonnés de la mémoire, indomptable, qui sommeille en soi comme l'œil vif d’un volcan, grand ouvert sur d'abyssales souvenances qui grondent là, souterraines, demandant à renaître parmi les lumières, montent et crèvent soudain les remparts des silences pour déferler, ressacs, improbables, de cris inassouvis enfin affranchis de la nuit. Fascinante mise en scène des reflux de mémoires obstruées, à peine jaillies au-dehors, par les bruits d’une réalité érigée affolantes, vertigineuses structures d’une imprenable complexité. Les temps s’affrontent. Celui des origines et celui d’un présent lancé à corps perdu vers demain. Le futur. Le progrès. Le déni. La mémoire, condamnée à l’errance dans l’éternelle quête d’elle-même, bute contre les pans d’un espace indéchiffrable, essaie d’y prendre place, y creuse ci et là des arcades de lumières aux courbes familières ou s’installe à la périphérie des mondes soudain cernés, comme pour les bousculer, les déraciner à leur tour et leur imposer une autre lecture d’eux-mêmes, où prendraient soudain place terres ancestrales et voix inaugurales, par séries de graphies et symboles berbères. C’est le cas dans «La cité d’antan II» ou «La porte du temple». Des titres pour le moins éloquents qui placent les œuvres de l’artiste sous le signe de l’éternelle recherche d’un soi perdu. Perdu et pourtant étrangement, intensément présent à lui-même, comme ces ombres suspendues à une cinglante conscience d’elles-mêmes ou ces silhouettes traînant avec elles, dans les creux ou aux lisières des lumières, une absence à l’espace qui les entoure, une implacable étrangéité qui, cependant, dit toute la force du monde intérieur qui les habite.
Nostalgie dans la quête des clés d’antan; réminiscences des couleurs, des signes, des parfums de cet espace d’antan qui répand sur la toile les bleus de ses cités, l’ocre de ses terres, le pourpre de ses tracés amazighs, la blancheur aveuglante de ses soleils ; et la renaissance jouée dans le retour vert et or des « Printemps ». La nostalgie de Abdallah Sadouk n’a rien de triste ou résigné. Au contraire. Même de ces corps voûtés, écrasés, qui traversent ci et là, irrémédiablement étrangers, l’étendue de la toile, il émane une bouleversante dignité et une saisissante puissance. Celle des sagesses mutiques qui finissent malgré tout par investir l’espace. Celle d’indéfectibles « vérités » héritées des anciens, de l’enfance et de sables charriant dans les vents des contes et chants millénaires. Celle de l’univers sensible de l’artiste qui épelle, aux croisées des marées qui s’agitent en lui, son nom dans les vents.
Né en 1947 à Casablanca, Abdellah Sadouk intégrera, en 1967, l’École des Beaux-Arts de Tétouan avant de se rendre à Paris où il poursuivra ses études à l’École nationale supérieure des arts décoratifs dès 1970 et à l’École nationale des Beaux-Arts de Paris à partir de 1978, année qui sera celle de sa première exposition dans la grande capitale culturelle française. En 1980, il décroche son diplôme d’arts plastiques à Paris I Sorbonne. Vivant entre Saint-Ouen, dans la région parisienne, et ce sud marocain qui lui est si cher, ce lauréat de l'académie parisienne des Beaux-Arts a exposé dans les plus grandes capitales mondiales et son nom figure parmi les collections de maints musées et institutions publiques et privées.