Ce week-end, les Tangérois qui flânaient tranquillement dans les rues de leur jolie ville, sans emmerder personne, ont eu droit à un peu de lecture gratuite et à un petit cours de morale aux relents d’un extrémisme primaire.
Sur des affichettes placardées sur des poteaux et des murs de façade, des personnes pour le moment non identifiées –mais qui le seront bientôt, ça c’est certain– ont tenu à rappeler aux citoyens marocains quelques règles de savoir-vivre et d’éducation, dignes des pays où la charia fait office de loi.
Sur ces affiches, ce sont les parents qui ne voilent pas leurs filles qui sont visés, ces gens "sans honneur, sans scrupules et sans religion". Ce sont aussi les maris de celles qui osent se balader en tenues trop courtes ou exhiber leurs formes dans des pantalons trop serrés qui sont cloués au pilori, livrés à une vindicte, que l’on espère populaire, mais qui fort heureusement ne l’est pas, car jusqu’à preuve du contraire, on ne vit pas au Marokistan.
Quant à ces filles aux tenues non conformes à une moralité importée de pays où le wahhabisme prolifère, celles-ci se voient taxées de "produits bon marché", exhibées par leurs pères dans l’espace public, devenu un haut-lieu de la pornographie.
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Les femmes voilées, leurs maris et pères, qui sont forcément respectables vu que leurs femmes sont mestourates, eux sont épargnés. Normal, ils marchent sur le droit chemin, celui de la religion et de la moralité. Pas un mot non plus sur les garçons qui s’habillent de manière provocante avec des jeans Zara, slim, tailles basses et bien moulant aux fesses, ni sur les hommes qui exhibent en toute impunité, sous la blancheur et la transparence de leur Kamiss, leur pilosité abondante et encore moins sur tous ces mecs qui bronzent en slip blanc (on appelle ça à juste titre un moule-b… en langue kafira de Molière) à la plage sous prétexte que le printemps est de retour. Mais comme dit le proverbe, "au royaume des aveugles, les borgnes sont rois".
Pour une fois qu’on nous proposait de lire un truc gratuitement dans l’espace public… On ne peut s’empêcher d’avoir une pensée émue pour feue la grande Nawal El Saadawi, une féministe de la première heure, qui a tant fait pour l’émancipation des femmes arabes et qui vient de nous quitter, nous laissant désemparés face à tant de crétinerie. "Je ne suis pas contre la nudité, mais je crois que tout le monde devrait être nu. Tant hommes que femmes. Voile et nudité sont deux faces de la même pièce de monnaie" disait cette grande dame. Elle disait aussi, chers prêcheurs de haine, "je suis contre le voile si seules les femmes doivent être voilées". Et enfin, ouvrez bien vos mirettes noircies par l’obscurantisme, "certains disent que les femmes portent le voile parce que les hommes ont des désirs sexuels et regardent les femmes avec concupiscence. Si tel est le cas, c’est l’homme qui doit être voilé, et non la femme, ou il faut lui arracher les yeux. L’homme a des désirs sexuels, mais la femme aussi. Pourquoi alors ne pas voiler l’homme que la femme pourrait désirer? Ou la femme est-elle plus forte que l’homme? Elle seule peut maitriser son désir? Si les femmes se posaient cette question, elle enlèveraient le voile".
Mais à qui nous adressons-nous donc chère Nawal El Saadawi? Voudraient-ils tenter de comprendre l’étendue et la portée de vos mots emplis de sagesse, qu’ils ne le pourraient pas, embourbés qu’ils sont dans une doctrine qui ne supporte aucune liberté. Mais pire que tout, que penser de ces Marocains vivant à l’étranger, dans des pays occidentaux où les libertés individuelles sont brandies en étendard, dont certains ont applaudi sur leur chaîne YouTube ces pamphlets abjects affichés dans l’espace public.
Que penser de ces compatriotes qui vivent là-bas par choix, dans ces pays qu’ils qualifient de kouffars sans pour autant cracher dans la soupe quand il s’agit de percevoir des aides sociales? Que dire de ceux-là qui prêchent la haine depuis une autre rive, pour mieux semer la discorde dans un pays qu’ils ont quitté pour mieux "subir" tous les jours la nudité, des femmes, qui s’exhibe en toute liberté sous leurs chastes yeux? Que leur répondre, à eux qui ont choisi de ne pas aller vivre en Arabie saoudite, en Iran ou en Afghanistan où ils seraient tellement plus en accord avec leur idéologie? Dkhoul souk rassek et laisse les gens vivre leur vie, en slip blanc, en short ou en jean moulant.
Et puis, puisque vous nous imposez vos lectures, à votre tour, lisez! Une lecture bien de chez nous, 100% marocaine. "Les filles de Tanger ont une étoile sur chaque sein. Complices de la nuit et des vents, elles habitent dans des coquillages sur rivage de tendresse. Voisines du soleil qui leur souffle le matin telle une larme dans la bouche, elles ont un jardin. Un jardin caché dans l’aube, quelque part dans la vieille ville où des conteurs fabriquent des barques pour les oiseaux géants de la légende… » Les filles de Tanger, un si beau poème paru dans le recueil de Tahar Ben Jelloun Les Amandiers sont morts de leurs blessures, en 1976.
Voilà notre Maroc… celui de la culture, de la poésie, de la beauté, de l’amour, de la fraternité, des lumières. Et si cela doit nous faire passer pour des mécréants à vos yeux, qu’à cela ne tienne. A vous votre morale, à nous la nôtre, tant qu’on continue de vivre dans le respect mutuel.