Ça y est, c’est décidé. Je vais contrer mes énormes doutes, et me dire, que oui, bon, Fouad Laroui, c’est Fouad Laroui, que Bibi, avec ses gros défauts et ses quelques qualités, c’est bel et bien Bibi.
Pour bien marquer ce renouveau, j’ai extirpé des fins fonds de ma mémoire numérique une vieille photo colorée de Bibi, prise par un ancien ami à Azemmour -ville des Laroui-, et j’entends dédier, en bonne marathonienne, un texte après l’autre, semaine après semaine, une révolte totale et sans concessions à ce média, et donc à vous, éventuels lecteurs.
Ben oui, il en faut, du courage, pour prétendre s’exprimer tout juste au lendemain de cet écrivain aguerri, qui n’a plus rien à prouver, mais qui continue de se lancer, à chaque mercredi que Dieu fait, ce défi dément que de tenir une chronique hebdomadaire ici, sur Le360.
Ç’a été une valse-hésitation qui a duré plusieurs mois. Pot-pourri: «non, mais au lendemain de Fouad Laroui, tu as de ces prétentions…», «allons, allons, cesse de te prendre pour celle que tu n’es pas…», «y’a tellement plus fort, plus doué, plus intelligent que toi…», «franchement, tu pourrais cesser d’asséner tes phrases avec cette colère, regarde-le, lui, il leur transmet ses idées avec un de ces calmes, une de ces maestria… Calme-toi un peu, tiens, prends-en de la graine…».
Mais je ne vais pas vous chanter les louanges de Fouad plus avant, Fouad, c’était hier, et au cas où vous ne seriez pas déjà au courant, juste un petit coup d’œil à son billet du mercredi, et vous jugerez par vous-mêmes du talent de la bête (fin de la minute pub gratuite).
Je vais donc vous raconter, en cette reprise inaugurale, une belle rencontre que j’aie eue, dans cette nouvelle vie que je me suis choisie. Kamal Hachkar a débarqué dans mon quotidien désormais marrakchi, telle une brise de fraîcheur, voici tout juste une quinzaine.
Une nouvelle vie, solitaire, dans cette vieille cité aux murs ocres, parce que oui, je me suis exilée de Casablanca, la ville où j’ai grandi, depuis six mois à présent. C’est auréolé de ses succès -Tinghir-Jérusalem (2013) et Dans Tes Yeux, je vois mon pays (2020)- que Kamal, réalisateur, né à Tinghir, une enfance en France, a atterri sur mon canapé.
Une soirée à discuter, une soirée comme je les aime, sans chichis, sans mots convenus, à cœur ouvert, d’anecdotes en confidences. Ce point commun nous a d’emblée réunis: nous ne faisons pas partie de l’élite lettrée. Et de fait, nous nous sentons tels des imposteurs, dans un monde des idées très fermé, imperméable, «parce que mon père a été ouvrier dans des centrales nucléaires», «parce que le mien a été analyste-programmeur, après avoir obtenu son diplôme après une formation en cours du soir».
Fadaises, bien sûr. Le talent ne s’hérite pas, il s’arrache, à coup de travail, et Kamal Hachkar, né en 1977 -comme Bibi- en est un acharné. Ce talent se conquiert, à coups de livres lus, d’œuvres intégrées comme faisant partie de soi, de travail, encore et encore, de créativité, d’audace et de sensibilité. Kamal Hachkar a su prouver, un film après l’autre, et certains sont méconnus, qu’il en avait, du talent.
Que daddy ait été ouvrier, tâcheron, informaticien, camionneur ou balayeur-en-chef, il faut s’en affranchir. Seul le travail et le talent devraient payer, et aussi certaines rencontres que l’on attribue, souvent à tort, à un drôle de hasard, mais qui viennent, en fait, d’une disposition d’esprit qui mène, dans un chemin balisé de lumières, vers les personnes qui vous montrent où aller chercher ce souffle que l’on nomme l’inspiration. Ces chances-là, il faut les saisir, lorsqu’elles se présentent. J’en ai quant à moi laissé échapper beaucoup, mais je ne veux plus laisser ce que j’ai à dire dans un marécage de potentiels et de velléités.
C’est aussi une chance, que de s’exprimer devant un public, un immense privilège. Et claro, peu importe d’où vous venez, c’est l’endroit où vous comptez acheminer ceux qui veulent bien vous écouter, qui compte.
Bref, j’ai rencontré Kamal Hachkar, et je me suis départie de certaines inutiles infériorités. Prête à vous causer tous les jeudis, juste après Fouad Laroui. N’ayons peur de rien.
PS. Je sais, je sais. Le titre de ce texte… Je l’ai chipé à Fouad, ceux qui l’ont lu savent de quoi je parle, c’est un petit clin d’œil d’hommage, et rompez le banc.