Mardi, en début d’après-midi, au travail, mon poing s’est brusquement abattu sur mon bureau, et j’ai poussé un cri de joie.
Une dépêche de l’agence de presse officielle, la sacro-sainte MAP, venait de «tomber», annonçant de ses habituelles formules alambiquées, peu ou prou dans ces termes que «SM le Roi, que Dieu L’assiste, a reçu et nommé Mme Latifa Akharbach en tant que présidente de la Haute Autorité de la Communication Audiovisuelle»…
Branle-bas de combat immédiat à la rédaction, mais je vous en épargne les coulisses.
Cette info, comme des dizaines d’autres qui «tombent» chaque jour, a été traitée. Vite et bien. Pour vous tenir informés.
Mais vous en êtes peut-être toujours à vous demander pourquoi ai-je donc poussé ce cri de joie…
Flash-back. 1998. J’avais alors 21 ans, tout juste le bac, je revenais de France où je n’avais pas fichu grand chose, mis à part aimer et avoir accès à encore un peu plus de culture.
De retour à Rabat où s’étaient installés mes parents, j’avais eu cette idée de me faire journaliste, contre l’avis de mon père, qui tenait à ce que je fasse des études.
Mais voilà: bûcher très académiquement, être scolaire, c’est pas mon truc à moi…
Ma mère m’avait alors présentée à Latifa Akharbach, amie d’une amie à elle, et qui se trouvait être, à cette période, professeur à l’Institut supérieur de journalisme de Rabat.
En compagnie de Najib Refaif, son époux journaliste et chroniqueur, elle nous avait aimablement reçues, dans leur cabanon en bord de mer, en une fin d’après-midi, lors de cet été 1998 qui s’achevait.
C’était là ma chance. Je l’avais fermement saisie.
Avec toute la verve de mes 21 balais, je m’étais présentée à ce couple, avais décrit mon jeune parcours d’alors.
Ils avaient fini par se regarder et opiné de la tête: «on va l’aider».
Et voici que vingt ans plus tard, je me retrouve ici, à avoir ce plaisir de vous écrire une tribune toutes les semaines –et au passage d’en emmerder copieusement quelques-uns…
Totale gratitude à ma pomme et merci, aussi et surtout, à tous ceux qui ont bien voulu me faire confiance.
Cela n’a pas toujours été facile, le parcours est par ailleurs encore semé d’embûches, mais je me suis faite une religion de ce métier, l’un de ceux que j’ai appris à maîtriser, sur le tas, dans ses différentes variantes.
Latifa Akharbach a aidé beaucoup de journalistes en devenir, ceux de ma génération, si elle détectait en eux cette petite flamme, cet enthousiasme, cet entrain et ce goût du travail bien fait.
Avec ce recul de vingt ans de travail, je suis désolée de vous l’annoncer clairement, et de but en blanc: en 2018, je me retrouve souvent à être effarée devant l’attitude désinvolte et l’arrogance de certains jeunes journalistes particulièrement incultes, à l’égo déjà surdimensionné.
Ne vous méprenez pas, j’ai moi aussi un égo surdimensionné, ma trombine que vous voyez juste au-dessus de ces textes que je signe de mon nom, toutes les semaines, en est l’illustration la plus éloquente.
Cela, je l’assume sans aucun problème.
Plus encore, je peux me permettre, aujourd’hui, d’être parfois arrogante.
Mais si je le suis, et que je l’assume, c’est parce que je sais que mes savoirs et savoir-faire sont tout relatifs, et que je reste bien consciente de mes limites et de mes (quelquefois grandes) lacunes.
Tout le secret de l’équilibre est là: préserver son égo sans trop le flatter, cultiver ce doute constructif, garder intacte sa curiosité.
Ces jeunes incultes, qui ne font que commencer à apprendre ce métier, mais qui sont déjà si ridiculement arrogants, et qui me font tant sourire, qui m’énervent parfois, ont été biberonnés à un titre aux Unes fracassantes: Le Journal Hebdomadaire (dans lequel j’ai accompli mes premiers faits d’armes dans la presse encore balbutiante du Maroc, quand il ne s’appelait que Le Journal -justement grâce à Latifa Akharbach et Nagib Refaif, qui m’y avaient catapultée en stage).
Ils ont été biberonnés, aussi, à un autre titre, tout aussi porté, jusqu’à la fin de la dernière décennie, sur ces couv’ percutantes et ô combien «vendeuses»: TelQuel, fondé par Ahmed Reda Benchemsi, dont j’ai été la première épouse.
Et donc, en tant que telle, idéalement placée aux premières loges, lors de la création de ce titre de presse.
Vous voulez que je vous révèle un truc?
Je n’ai jamais rien lu, ou presque, des éditoriaux vengeurs et revanchards de Benchemsi & co.
Rien lu de ce qu’écrivaient leurs journalistes.
Sauf quand je m’étais retrouvée, encore jeune, à corriger des articles de ces titres, ou à y écrire.
Mon instinct m’avait fermement commandé de ne pas lire «ça».
Semaine après semaine, j’achetais, certes, les titres en question, je regardais avec une indifférence polie leur Une, toujours rageusement dénonciatrice.
Et je remettais systématiquement ces numéros à mon père, paisible retraité, qui alimentait ainsi ses conversations avec ses amis au café.
Mon attitude avait été saine, je m’en rends parfaitement compte aujourd’hui.
Quand je constate les dégâts commis par ces éditorialistes (et leurs très nombreux, aveugles suiveurs, succédanés et affiliés), auprès de la jeune génération des journalistes du Maroc, je remercie grandement, aujourd’hui, mon instinct salvateur d’alors.
Pour les avoir longuement fréquentés à un très jeune âge, j’ai désormais bien compris la psyché de ces éditorialistes: un égo hypertrophié, une ambition démesurée, un désir de vedettariat rapide, voire des flots d’argent facilement gagnés, tout cela au détriment de quelques valeurs, celles qui devraient être le socle de notre démocratie naissante, aujourd’hui hybride et bien évidemment encore largement perfectible.
Les médias ont cet évident (et crucial) rôle de quatrième pouvoir, et sont donc un des contrepoids des trois autres pouvoirs qu’exerce l’Etat.
Mais il faudrait aussi se rendre compte, en tout pragmatisme, que l’immense force de frappe de ce quatrième pouvoir se conquiert par, avant tout, du travail acharné, du mérite, ô chers jeunes gens à la vingtaine si arrogante, et qui croient, bien à tort, avoir déjà tout compris…
Plus encore, ce quatrième pouvoir, porté par un idéal de liberté, immense valeur en soi, n’est pas compatible avec le désir, bassement matérialiste, de servir ses propres ambitions, de ne flatter que son égo, en tapant aveuglément et ma foi, très bêtement, sur les institutions de notre pays, tout particulièrement celles de la monarchie et de la personne du roi.
Oui, la liberté d’expression se conquiert, s’arrache.
A condition d’avoir compris cette nécessaire responsabilité de défendre, de prôner quelques notions, fondamentales à la préservation de la paix et des acquis du Maroc.
Ces flamboyants patrons de presse, qui ont été bien naïvement admirés, portés au pinacle, et qui ont tant influencé jeunes et moins jeunes, étaient motivés par d’autres ambitions que de prôner des valeurs pourtant simples et aisées à comprendre.
Je peux vous l’attester. Je vous l’estampille, même: ces hommes-là, que l’on a traités en héros, n’étaient pas sincères dans leurs intentions.
Cette possibilité de s’exprimer en toute liberté se conquiert au mérite, mais aussi en étant conscient de son rôle face à un auditoire auquel nous devons, c’est bien la moindre des choses, un travail acharné, de la rigueur, de l’abnégation pour des tâches parfois ingrates, et, surtout, du respect pour la méthodologie et l’éthique inhérentes à notre beau métier.
En gardant, aussi, précieusement par devers soi quelques valeurs fondamentales. Cela, c’est tout simplement être marocain.
En plus de faire preuve d’un certain talent. Cela, c’est, en toute simplicité, être un journaliste futé.
Vous pourrez alors, jeunes gens, en tant que Marocains, et en tant que journalistes futés, vous permettre ce luxe d’être parfois bien arrogants, en toute (im)pertinence.
Ok?
PS. Madame Akharbach, toutes mes félicitations. Et merci encore.