J’aurais bien sûr l’occasion de vous en reparler ici.Mais comme vous le savez peut-être, cette année, le Salon du livre de Paris a décidé de mettre à l’honneur la littérature marocaine. C’est un événement que nous avons toutes les raisons de célébrer. Car, croyez-le ou non, c’est la première fois depuis sa création que le Salon parisien donne une telle tribune à un pays du monde arabe!
Depuis quelques semaines, je rencontre beaucoup de journalistes français qui m’appellent pour discuter de cet évènement. Très modestement, la plupart d’entre eux confessent une grande méconnaissance de cette littérature. Souvent, ils avouent qu’ils ne savent pas à quoi s’attendre. Ils se rendent compte que les romans marocains sont très peu mis en avant dans les médias français et, à part quelques noms très célèbres, comme ceux de Tahar Ben Jelloun, Driss Chraïbi ou encore Fouad Laroui, ils se sentent incapables de citer un écrivain marocain. «La littérature marocaine? Tiens, mais qu’est ce que c’est que ça?»
Et puis, ils se plongent dans les livres, découvrent les biographies d’auteur, lisent des entretiens. Et là, beaucoup m’ont avoué avoir été étonnés par la teneur des textes, leur liberté, leur crudité même. J’ai offert "Le pain nu" de Mohamed Choukri à un journaliste qui m’a appelé le lendemain, complètement bouleversé. Il s’était renseigné sur le personnage de Choukri, avait regardé la célèbre vidéo avec Bernard Pivot et il m’a assailli de questions sur cet auteur et sur ses successeurs contemporains. On pouvait écrire ça, au Maroc? On pouvait parler de drogue, de sexe, de violences avec une telle liberté? Je ne sais pas trop ce que ce journaliste imaginait. Peut-être pensait-il que les auteurs marocains se contentaient d’écrire des contes orientaux, à l’érotisme lascif et subtilement suggéré… Je lui ai suggéré de continuer sur sa lancée avec A. Taia, Rachid O., Mohamed Leftah…
Si nos auteurs sont si mal connus, ce n’est pas pour rien. Ceux qui publient au Maroc disposent souvent de très peu d’espaces ou de tribunes pour exister, pour s’exprimer et pour se faire connaître, notamment à l’étranger. Dans son remarquable essai "J’ai une langue et ce n’est pas la mienne", Kaoutar Harchi expliquait à travers le cas de "Meursault contre enquête" de Kamel Daoud, comment le passage d’une maison d’édition locale à une maison française faisait faire un saut qualitatif énorme, en terme de visibilité médiatique notamment. C’est bien dommage, mais il me semble que ce cas d’école pourrait aussi s’appliquer aux auteurs marocains.
Evidemment, l’autre problème, pour ne pas dire le problème majeur, c’est qu’il y a insuffisamment de lecteurs marocains. Or, un écrivain ne vit et ne prend de l’ampleur que par ses lecteurs. Ce sont eux qui font exister ses livres, qui en débattent, qui les partagent, le questionnent, les transmettent. Malheureusement, et c’est d’autant plus vrai pour la littérature francophone, le cercle des lecteurs reste très réduit. Faute aux moyens financiers, à l’accès à la langue, à un manque d’implication de l’Education nationale sur ce sujet… Et pourtant, ce n’est pas l’envie qui manque. Lors d’un Salon du livre organisé à Marrakech en 2015, j’avais été frappée par la grande curiosité du public, son appétit pour les livres. Les gens, surtout les jeunes, s’arrêtaient longtemps devant nos stands. Ils regardaient les livres, lisaient la quatrième de couverture. Certains nous posaient des questions et nous étions ravis d’engager la conversation. Ils repartaient un peu gênés, en s’excusant de ne pas acheter nos livres qui étaient bien trop chers pour leur budget limité. C’est d’autant plus rageant que si nos livres sont payants, d’autres sont gratuits et allégrement distribués dans les Salons du livre par des pétro-monarchies qui préfèrent largement la propagande à la littérature.
Mais je veux rendre hommage, ici, à tous ceux qui font malgré tout vivre le livre dans un pays où il n’existe pas de politique du livre à proprement parler. J’ai rencontré, au Maroc, des libraires absolument passionnés, qui aiment les auteurs et les histoires et qui dépensent leur énergie sans compter pour faire connaître les textes, organiser des rencontres et des débats. Et je dois dire qu’à chaque fois que j’ai donné une lecture ou que j’ai assisté à un débat, j’ai été frappée par l’assiduité du public, son intérêt, la qualité de ses questions. Il faut saluer le travail des éditeurs marocains qui se battent pour continuer à exister, pour dénicher des auteurs, donner vie à leurs textes et valoriser leur travail. Je vous recommande d’ailleurs le livre de Kenza Sefrioui, "Le livre à l’épreuve, les failles de la chaîne au Maroc", publié aux éditions En toutes lettres et dans lequel elle tire la sonnette d’alarme sur la situation du livre au Maroc. En plus d’être une brillante auteure, elle est une éditrice courageuse puisqu’elle a lancé cette passionnante collection où a notamment publié le journaliste Hicham Houdaifa.