Lorsque j’étais enfant, la rentrée était une fête. Nouveaux professeurs, livres tout neufs, nouveaux copains: le début de l’année scolaire était plein de promesses. Mais mes parents tenaient à ce que je sache que ce qui me semblait couler de source – aller dans une école, y recevoir une éducation de qualité, être traitée avec respect – était malheureusement un privilège. Au Maroc, l’éducation est depuis des dizaines d’années un service public défaillant. Nul ne l’ignore et malgré les efforts et les budgets alloués, le retard semble très difficile à rattraper. Les plus optimistes allègueront que le taux d’analphabétisme a baissé de 18% en dix ans et que 96% des enfants sont scolarisés. Mais quelle réalité se cache derrière ces chiffres?
J’ai eu l’occasion de le découvrir cet été, lors de ma rencontre avec Najate Limet, présidente de l’association Enfance Maghreb Avenir (EMA). Née au Maroc dans une famille très modeste, Najate Limet s’est installée en France avant de revenir, en 2006, dans son pays natal. Là, elle a constaté avec effarement l’état des écoles dans les quartiers défavorisés de Casablanca. «Dans une école pourtant proche du centre-ville, il n’y avait pas de fosse sceptique et les excréments s’écoulaient jusque dans la cour», me raconte-t-elle. «En guise de salle de classe, il y avait des préfabriqués bourrés d’amiante dans lesquels les enseignants refusaient légitimement de travailler! Aller à l’école c’est pouvoir apprendre dans des conditions qui respectent votre dignité et votre sécurité». Voilà la devise de l’association qui, sous la direction de cette femme à la volonté de fer, s’emploie à réhabiliter des infrastructures scolaires et à en construire de nouvelles, grâce à des donations de particuliers et d’entreprises. A ce jour, douze établissements ont été rénovés et reçoivent un soutien pérenne d’EMA.
Najate Limet ne croit pas aux beaux discours et elle tient à m’emmener sur place. Nous sommes dans la périphérie de Casablanca, loin des buildings et des avenues arborées. Ici, les HLM, pourtant récents, sont déjà délabrés. Le sol est jonché de sacs d’ordures que des chiens maigres et galeux viennent éventrer. Le portail de l’école s’ouvre et là, nous pénétrons dans un autre monde. Dans ce que, justement, devrait être l’école. Un havre de paix, un refuge, un sanctuaire. Les murs sont couverts de couleurs vives et de dessins. Du mobilier a été habilement recyclé pour décorer cette cour où poussent des plantes et où vivent des oiseaux auxquels les enfants sont très attachés. Dans les salles de classes, les élèves disposent d’ordinateurs, de livres et d’un matériel pédagogique propre et en bon état. «Je voyais des enfants devant la porte dès sept heures du matin et je me demandais pourquoi ils étaient là si tôt. J’ai compris que beaucoup fuyaient la violence et la promiscuité dans leur foyer», m’explique Najate. Elle tient à me montrer les sanitaires et même les douches, où les élèves peuvent occasionnellement se laver. Aujourd’hui, 75% des filles de plus de douze ans sont déscolarisées à cause du manque de sanitaires. Ce sont ces réalités, simples, concrètes et violentes que Najate veut essayer de faire comprendre.
Najate Limete et son équipe abattent un travail colossal, épuisant, parfois ingrat, dont on comprend que parfois ils ne voient pas le bout. Mais ça marche ! Les directeurs d’école se battent pour obtenir le soutien de cette association. Autre victoire notable, Najate est parvenue à convaincre les parents de s’investir dans son projet pédagogique. Près du bidonville de Rahma, l’école (qui accueille des élèves jusqu’au collège) est gérée par une association de parents d’élèves qui met tout en œuvre pour la réussite de leurs enfants. Cette année, plusieurs élèves ont eu leur bac avec mention. Nezha, mère d’une jeune bachelière, me raconte leur parcours du combattant pour pallier les insuffisances du système. «Comme il n’y avait pas de professeurs de langue, nous nous sommes mis à plusieurs familles pour payer des cours du soir et les accompagner en voiture. C’est un quartier dangereux, il y a beaucoup d’agressions et très peu de transports publics.»
J’en suis convaincu, l’état de l’école détermine la société de demain. Lorsque des élèves apprennent dans des conditions dignes, qu’ils se sentent valorisés et en sécurité, ils sont à même de devenir des citoyens responsables et engagés. Il n’existe pas de meilleur moyen de lutter contre la violence, contre l’intégrisme, contre les inégalités entre hommes et femmes qu’en sanctuarisant l’école comme le fait EMA. Dans les Désorientés, Amin Maalouf écrit : «Le pays où tu peux vivre la tête haute, tu lui donnes tout, tu lui sacrifies tout, même ta propre vie ; celui où tu dois vivre la tête basse, tu ne lui donnes rien. La magnanimité appelle la magnanimité, l’indifférence appelle l’indifférence, et le mépris appelle le mépris. Telle est la charte des êtres libres et, pour ma part, je n’en reconnais aucune autre.»
Allez sur le site de l’EMA et découvrez le travail exceptionnel de cette association dont j’ai l’honneur d’être la marraine.