L’actualité, encombrée par le Covid-19, ne laisse pas de place pour parler d’autres faits. Ainsi, la disparition le 28 mai dernier de notre ami Guy Bedos. Je dis «notre ami», parce qu’il a toute sa vie été avec nous, pour les droits de l’homme et contre le racisme. Je voulais rendre hommage à un homme qui a su traverser le temps avec un humour grinçant, souvent noir, mais toujours humaniste. Je l’évoque aujourd’hui parce qu’il aimait notre pays et en parlait avec tendresse.
Enfant, il a souffert, adulte il a fait de ses épreuves d’enfant maltraité, un témoin de la brutalité des hommes dans un monde dur et sans pitié. Comme disait Jean Genet, «derrière chaque œuvre, il y a un drame». Le drame de Guy Bedos a été la perte de son père et une cohabitation difficile avec un beau-père raciste qui n’aimait ni les Arabes ni les Juifs. Cela se passait en Algérie, qu’il a quittée dès qu’il a pu.
Sur le monde, sur la société, il avait un regard précis et sans concession. Il disait les choses graves tout en étant léger, surtout quand il évoque le monde politique de quelque bord que ce soit. Engagé, homme de gauche, lucide et en colère, il traquait la bêtise satisfaite avec une justesse féroce.
Je me souviens, la première fois que je l’ai rencontré, il m’a dit sa peine d’avoir été compris à l’envers dans son sketch avec Sophie Daumier sur les «Vacances à Marrakech». Les racistes se trouvaient confortés dans leurs préjugés et applaudissaient ce qu’un couple de petits bourgeois français, représentatif d’une majorité inculte et contente de son ignorance, disait sur les Arabes.
Il a dû faire précéder son sketch par une annonce, genre la voix doucereuse d’une hôtesse de l’air, précisant que ce qui va être dit est «d’inspiration anti-raciste». Cette précision était nécessaire, car les spectateurs continuaient à applaudir les moqueries sur les Arabes.
Souvenez-vous: un couple prend l’avion pour aller passer des vacances à Marrakech. La critique commence dès l’entrée dans l’appareil: le commandant de bord est un indigène. Il a l’audace de leur demander de «boucler les ceintures et d’éteindre leur cigarette», puis il demande aux passagers s’il y a quelqu’un pour lui prêter un Bic pour «faire les calculs de vol». Le personnage de Bedos crie: «Moi, confier mon Waterman plaqué or à un Arabe! En plus il écrit de droite à gauche». Il suggère que le pilote le garderait et dirait «je l’ai égaré». Arrivé péniblement à Marrakech, c’est le choc: «Marrakech, ça nous a déçus; c’est plein d’Arabes; il n’ y a que ça, des Arabes, très à l’aise; on est des touristes; l’armée française n’a qu’à faire son travail! …Partout des Arabes, des porteurs, c’est normal, des douaniers, des «Arabes, même le roi, il a l’air d’être d’une très bonne famille». Et il ajoute: «c’est la dernière fois qu’on met les pieds dans les colonies».
Ce sketch datant de début des années soixante-dix a eu beaucoup de succès. Il se termine sur la situation des Arabes en France; le personnage de Bedos propose qu’on construise un mur assez haut pour ne plus les voir!
Né en Algérie, on lui a souvent donné le rôle d’un Pied-noir harcelé par une mère juive qui se mêlait de tout dans sa vie. Il a joué dans la série des films d’Yves Robert avec Claude Brasseur. C’était en fait un bon comédien qui a aussi joué dans des pièces dramatiques au théâtre, notamment «Arturo Ui» de Bertolt Brecht.
Ces dernières années, il s’est radicalisé dans sa lutte contre le racisme de la droite et son extrême. En 2013, il a dit violemment à la femme politique Nadine Morano ce qu’il pensait d’elle; c’était si violent qu’elle a porté plainte et Guy Bedos a été relaxé.
A ce propos il a dit: «je ne l’ai pas insultée, j’informe»! Cela rappelle la remarque du dialoguiste Michel Audiard: «Il ne faut pas répondre aux cons, ça les instruit!».
Il n’avait pas la langue dans sa poche. Il n’hésitait pas à dire ce qu’il pense et célébrait ainsi la liberté d’expression sans jamais déraper ou blesser les laissés-pour-compte.
Il était partisan du choix de mourir dans la dignité. Il avait avoué à la télévision «qu’il avait déjà choisi son médecin assassin». Il s’en est allé en douceur, entouré de ses enfants.
Ceux qui ne connaissent pas son sketch «Vacances à Marrakech» devraient l’écouter. Ils pourraient se rendre compte qu’il n’a pas vieilli, et que dans certains cas, il correspond encore à quelques aspects qu’on remarque dans le comportement de certains touristes d’aujourd’hui.