Tous ceux qui sont passés par le Collège royal ne racontent rien de cette expérience. Peut-être ont-ils reçu la consigne de ne rien révéler de leur vie durant ces années où ils ont eu l’honneur de faire leurs études avec le prince. On sait aussi qu’une fois devenu roi, le prince a recruté ses conseillers parmi ces anciens camarades de classe. C’est quasi une tradition.
Voilà que paraît un roman L’Historiographe du Royaume (Editions Grasset) dont l’auteur n’a pas respecté la consigne de la discrétion et du silence. Un roman passionnant, tant la véracité du récit est énorme. On se dit «il dit tout, sans complexe, sans censure!».
Certes c’est un roman, une fiction écrite dans une langue impeccable. On cherche l’auteur derrière le nom français donné par l’éditeur. On spécule, on imagine, et on ne trouve rien. Quel est ce Marocain qui a osé trahir les secrets de la scolarité avec le prince?
D’abord, il s’agit de l’époque de Feu Mohammed V. Le prince en question est Moulay Hassan. On se dit, cet homme qui raconte doit approcher les quatre-vingt dix ans.
Il s’appelle Abderrahman.
Il est d’origine modeste. Elève brillant, il se fait tout de suite remarquer par le prince, qui, devenu roi, le nomme «gouverneur académique de Tarfaya et des territoires légitimes». Il comprend très vite que c’est là le signe d’une disgrâce, une sorte de poste où il n’y a rien à faire, une charge pour l’éloigner de Rabat. Il passera sa vie entre des moments de grâce et d’autres de disgrâce. Le roi a ses raisons.
Personne ne les connaît ni n’ose poser des questions. On ne discute pas une décision royale. C’est ainsi.
Pour être certain que l’auteur français n’a pas été «le nègre» d’un ancien camarade de classe de feu Hassan II, j’ai demandé à l’éditeur de me mettre en contact avec Maël Renouard, celui qui signe cette confession de 330 pages.
Je me suis trouvé face à un homme d’une quarantaine d’années, normalien, agrégé de philosophie, ayant déjà écrit un petit livre sur la Chine, La réforme de l’opéra de Pékin (Rivages) et traduit Ainsi parlait Zarathoustra de F. Nietzsche. Il a aussi écrit une pièce de théâtre, Skhirat.
Dans L’Historiographe du Royaume, tout un long chapitre est consacré au coup d’Etat du 10 juillet 1971. Le narrateur faisait partie des invités de Sa Majesté. Il suivra le souverain quand il s’était caché dans la salle de bain. Après cette épreuve racontée avec moult détails, il est nommé «historiographe du royaume».
Maël Renouard n’a jamais mis les pieds au Maroc. En revanche, il connaît sur le bout des doigts l’histoire de notre pays. Plusieurs pages évoquent Moulay Ismaël et le vœu du Makhzen de célébrer le tricentenaire de ce souverain qui a marqué l’histoire du Maroc.
Renouard n’a été en contact avec aucune personnalité qui aurait pu être cet élève du temps de Mohammed V. Il a tout imaginé à partir des archives, des livres d’histoire et des documents auxquels il a pu avoir accès.
Le résultat est étonnant. Ce jeune normalien, discret et même un peu timide, aime travailler à partir des documentations. La rédaction de ce roman lui a pris plusieurs années. Il avait voulu rencontrer Driss Snoussi, ami personnel de feu Hassan II et parfait connaisseur de cette époque. Refus. On apprend par de petites touches quelques aspects du caractère de feu Hassan II. Il relate, par exemple, une promenade face à la mer en sa compagnie. Le roi s’arrête et dit «le silence infini de ces espaces éternels…», se tourne vers son historiographe et lui dit «elle est bien de Pascal, celle-ci, n’est-ce pas ?». L’autre lui répond en s’excusant «Oui, Majesté, mais les mots sont dans un autre ordre: Le silence éternel de ces espaces infinis».
Insolence impardonnable. On se demande: a-t-il inventé cette anecdote ou bien a-t-elle réellement eu lieu ? En tout cas, elle est plausible.
Le roman est plein de ces détails qui en disent long sur le tempérament d’un grand roi, intelligent, lettré, qui méprisait les courtisans et ne supportait pas plus intelligent que lui. Le narrateur osait parfois, tout en mettant en avant les qualités du roi, certaines remarques. Il rapporte une discussion avec une amie d’un militant d’extrême-gauche, passé par la case prison, fils d’un ancien Premier ministre: «il méprise ceux qui le flattent, il déteste ceux qui lui résistent (…) Qu’il ait affaire à un courtisan de basse espèce, et il est impatient de trouver quelqu’un avec qui exercer son intelligence d’égal à égal; mais qu’il soit en compagnie d’un homme qui ne lui cède en rien par l’esprit, et il est impatient de l’anéantir, car personne ne doit risquer de lui faire de l’ombre».
Ce roman fera beaucoup de bruit au Maroc. C’est probablement la première fois qu’un portrait sans concession est tracé du monarque qui a marqué de manière forte l’histoire de la monarchie et du pays.
Le livre paraîtra fin août en France.