Ce n’est pas par hasard qu’en décembre 2016, Sa Majesté a décoré Pierre Bergé. C’était un homme d’exception, pas facile, pas lisse, doué d’une intelligence remarquable, une curiosité en éveil, une culture acquise sur le tas avec rigueur et exigence. C’était un amoureux du Maroc, quelqu’un que la culture de ce pays, ses traditions, sa civilisation passionnaient.
La première fois où je l’ai vraiment connu, c’était au moment où il exposait dans les salons de la fondation Yves Saint Laurent à Paris les plus beaux caftans du Maroc prêtés par l’antiquaire Boubker Temli et la grande spécialiste Tami Tazi. Il m’avait demandé d’écrire un texte pour le catalogue. Liberté totale. Notre lien a commencé à partir de ce travail qu’il avait apprécié. Il aimait parler avec moi littérature, s’inquiétait des choix de l’Académie Goncourt, se demandait si de bons auteurs avaient émergé. Sur le plan politique, il avait toujours affiché ses choix de gauche.
Ensuite, nous nous voyions tantôt à Tanger où il avait deux maisons dont l’une est mitoyenne d’une petite maison où vécurent mes parents jusqu’à leur mort. Mais c’est surtout à Marrakech et à Paris que nos rencontres avaient lieu. Paris, parce qu’il m’avait demandé de faire partie du jury du Prix Jean Giono qu’il présidait. Nos réunions dans son restaurant avenue Victor Hugo étaient un moment de plaisir parce que nous ne parlions que de littérature. Il adorait les écrivains, était à l’affût de nouveaux talents. Ce fut lui qui aida le romancier marocain Adellah Taia, vota au prix Giono pour Fouad Laroui et détestait les imposteurs, notamment un agitateur de Marrakech qui n’a jamais réussi à s’en approcher.
Pour lui le Maroc est un trésor inépuisable. Il savait repérer les choses authentiques, les objets populaires, il savait regarder la nature avec intelligence et s’accordait avec sa lumière.
Politiquement il a toujours été engagé. Il a été le premier à soutenir l’association de lutte contre le Sida créée par le DR Hakima Himmich. Il l’a aidée et l’a encouragée. Très tôt Pierre Bergé a su qui aider et qui pousser.
Le Maroc pour lui ne s’arrêtait pas à sa superbe maison dans les Jardins de Majorelle. Il y a le musée berbère et puis dans trois semaines le grand Musée Yves Saint Laurent Marrakech. L’inauguration commencera le vendredi 13 octobre, se poursuivra le lendemain par un concert privé de Mashrou’Leila au Saadi Palace et s’achèvera le dimanche 15 par la visite privée du Musée.
Il aurait tant aimé être là, même dans son fauteuil roulant, assister à sa dernière œuvre, sa dernière réalisation pour perpétuer la mémoire de l’homme de sa vie, Yves Saint Laurent, mais aussi pour l’amour de ce pays où il résidait une bonne partie de l’année.
Pierre Bergé avait des avis tranchants. Un seul différend nous opposait: lui détestait Albert Camus, trouvait que c’est un mauvais écrivain, moi j’adore cet immense écrivain et intellectuel. Mais ses avis tenaient de l’humeur, ne reposaient pas sur des arguments littéraires. Mais il était ainsi, il avait des idées souvent justes, parfois injustes. Mais cela n’a jamais empêché notre amitié de se développer et de rester attentive.
Il s’en va mais laisse beaucoup de lui-même dans Marrakech.