«Fauda»: une colère qui blesse

Famille Ben Jelloun

ChroniqueLa série colle à la réalité amère du destin du peuple palestinien et la détermination d’Israël à éliminer ses ennemis. Elle montre les blessures, le deuil. Pas de manichéisme. Elle montre une communauté de destins, avec une évidence : le Hamas n’a aucune chance de l’emporter.

Le 15/06/2020 à 10h58

Je viens de terminer la troisième saison de Fauda, une série passionnante, d’une efficacité redoutable, et je suis en colère. En colère parce que ce feuilleton israélien révèle des faits et des vérités politiques qui ne peuvent que rappeler la honte que la plupart des Etats arabes de la région doivent ressentir du fait d’avoir abandonné les Palestiniens, la honte aussi de la manière dont les Palestiniens se sont déchirés et n’ont pu de ce fait récupérer les territoires qu’Israël occupe depuis 1967.

Sur un plan strictement cinématographique, la série est impeccable. Un scénario bien ficelé, une mise en scène précise, pas de plans en trop, une excellente direction d’acteurs, des dialogues en arabe et en hébreu bien écrits, le tout donne une impression de vérité au point où l’on se demande si c’est un documentaire ou un film de fiction. On pourrait dire que Fauda est les deux.

De quoi s’agit-il? Un commando d’élites, composé de soldats parlant l’arabe palestinien sans accent, infiltre les rangs du Hamas et essaie d’arriver jusqu’à la direction qui décide des opérations à mener en Israël et réussit à l’éliminer. Ces soldats sont appelés «les Moustaaribines» (en arabe) et «Mista’arvim» en hébreu. Ce sont des hommes et des femmes rompus au combat, à l’espionnage, à la psychologie et à la culture de l’ennemi. Ils se fondent dans la foule palestinienne et tout est fait pour que personne ne les repère.

Dans la troisième saison, par exemple, Doron, le personnage principal, se fait passer pour un Gazaoui, infiltre une famille de Gaza et devient un entraîneur de boxe qui prend sous son aile le fils d’un militant palestinien qui vient de sortir de prison après y avoir purgé vingt ans. Il compte sur son «amitié» avec le jeune Bachar pour le mener vers des décideurs d’opérations en terre israélienne. Il y parvient. Ce point de départ sera suivi de rebondissements qui tiennent en haleine le spectateur. Le père de Bachar, lequel rêvait d’aller boxer à l’étranger, est tué par Doron. Le jeune boxeur découvre la supercherie et cherche à se venger.

Chacune des trois saisons fonctionne sur le même schéma: il faut atteindre un dirigeant, responsable d’attentats meurtriers en Israël, l’arrêter ou l’abattre. Il s’agit toujours du Hamas, qui, contrairement à l’Autorité Palestinienne à Ramallah, n’a pas renoncé à la lutte armée contre l’occupant israélien.

L’un des deux créateurs de la série dit qu’il a écrit cette histoire pour «montrer le lourd tribut payé par les innocents du conflit israélo-palestinien». Il est vrai que dans une scène où un membre du commando a du remords d’avoir tué par erreur l’un des leurs pendant une attaque, son chef lui rappelle qu’il a aussi tué d’autres hommes, entendus par là des Palestiniens.

Il ressort de cette série que:

1- le Hamas n’a aucune chance un jour de gagner cette guerre.

2- Israël est un Etat puissant, extrêmement bien structuré, convaincu que dans la lutte acharnée, sa survie est en danger.

3- Il se trouve toujours au sein des Palestiniens du Hamas quelqu’un pour trahir la cause et se mettre au service du renseignement israélien.

4- Aucun Israélien ne trahit son pays.

5- Dans cet affrontement d’une rare violence, le monde arabe est absent.

6- Un soldat israélien qui meurt au combat est une catastrophe d’une immense ampleur.

7- Un Palestinien qui tombe sous les balles du commando n’a aucune importance.

Reste la leçon politique que Fauda envoie au monde: jamais Israël ne cessera le combat contre les Palestiniens. Jamais Israël ne vivra totalement en paix. Jamais les Palestiniens ne réussiront à s’unir de manière forte et crédible pour imposer l’application de ce qui a été décidé dans les nombreuses négociations.

Le gouvernement de Netanyahu déteste Fauda; la société civile l’adore.

Actuellement, les Palestiniens ont été abandonnés par des Etats ayant conclu la paix avec Israël (l’Egypte, la Jordanie, notamment), et les autres Etats qui se sont rapprochés d’Israël via les Etats-Unis (la plupart des Etats du Golfe, en particulier l’Arabie Saoudite de MBS et les Emirats de MBZ).

La série colle à la réalité amère du destin du peuple palestinien et la détermination sans la moindre faille d’Israël à éliminer ses ennemis. Elle montre les blessures, le deuil, que ce conflit engendre dans les familles des deux camps. Pas de manichéisme. Elle montre une communauté de destins, avec une évidence: le Hamas n’a aucune chance de l’emporter.

Une campagne de boycott contre cette série, regardée partout dans le monde, a été lancée par certaines associations de la région, «pour propagande raciste qui sert l’armée d’occupation israélienne et montre l’agression contre le peuple palestinien». C’est une erreur, il faut la regarder et se rendre compte de la réalité tragique de ce conflit interminable. Le racisme est là, présent dans les deux communautés. Il n’y a pas d’anges dans Fauda.

Mais cette campagne n’eut aucun effet. Tout le monde regarde Fauda, y compris, paraît-il, le chef de l’Autorité Palestinienne, Mahmoud Abbas.

Il est vrai que la série n’est pas tendre avec les Palestiniens de Gaza qui se battent souvent avec les armes du désespoir. C’est atroce, c’est une réalité qui blesse et fait réfléchir sur l’énorme gâchis dont sont responsables certains dirigeants.

Par Tahar Ben Jelloun
Le 15/06/2020 à 10h58