Je suis à Marrakech, la ville dite ocre, mais aussi la ville lumière, la cité mystère, le joyau du tourisme et repère des retraités notamment français. Je ne savais pas qu’elle attirait, outre les artistes et intellectuels, les trafiquants de drogue et blanchisseurs d’argent sale. Je suis en face du café «Créme» où a eu lieu la fusillade qui a coûté la vie à un étudiant en médecine et blessé trois personnes. Je suis intrigué par l’accent aigu sur le «e» de «crème». C’est peut-être un clin d’œil au cas où les tueurs engagés auraient eu un doute sur le lieu où commettre leur crime.
Cette fusillade est, à ma connaissance une première au Maroc. On a fait appel à des tueurs professionnels originaires de pays lointains, l’un originaire de la République dominicaine, l’autre du Suriname, tous les deux Néerlandais.
À Marrakech comme à Tanger, on ne compte plus les cafés et restaurants qui ouvrent, assurent une saison ou deux puis disparaissent ou changent de patron. Souvent leurs propriétaires sont des Marocains qui ont fait (vite) fortune au Pays-Bas ou en Allemagne. Tout le monde sait que le Maroc n’échappe pas au fléau de la drogue et de l’argent sale. Parfois on ferme les yeux, d’autres fois, quand les limites sont dépassées, on frappe un grand coup. Avec la corruption qui prend diverses formes, les gangsters parviennent à s’en sortir. Ni vu ni connu.
Ce qui est inquiétant, c’est que les autorités n’ont pas pris conscience qu’une nouvelle délinquance sévit dans le pays. C’est une violence d’un genre nouveau, celle de l’argent facile, des combines et des truquages. On a tellement pris l’habitude de dérouler le tapis rouge aux imposteurs, aux escrocs qui présentent bien, graissent largement des mains tendues, des voleurs qui se font passer pour des artistes et achètent le petit monde qui va les distinguer, les remercier pour les cadeaux, pour les soirées orgiaques, un petit monde naïf ou simplement obnubilé par l’appât du gain, forme subtile de corruption. Les voyous investissent et attendent l’heure pour amasser les gains. On s’est habitué à les voir s’épanouir en toute impunité, n’hésitant devant aucun barrage, aucune frontière et limite. Morale et éthique sont superbement ignorées. Cette mafia prospère parce que l’argent liquide n’est pas encore sous contrôle même si des instructions ont été données aux banques pour en révéler l’origine. Mais souvent on ferme les yeux.
Ces gens enrichis à force de magouilles et de vols savent comment faire pour ne laisser aucune trace de leurs actes et faits. Mais les gens ne sont pas dupes. Cette forme de corruption et de prostitution s’est généralisée dans le pays. Le drame de jeudi soir s’inscrit dans cette toile où des voleurs volent, des brigands règlent leur compte en faisant appel à des tueurs à gages. Des consommateurs sont pris pour cible. Tant pis si on se trompe.
La première chose que les autorités ont tenu à préciser: ce n’est pas un attentat terroriste. Ceci est vrai, car un terroriste aurait flingué au hasard tous les clients du café. Mais si la police marocaine est d’une grande perspicacité et efficacité quand il s’agit du terrorisme, elle l’est moins concernant les cambrioleurs, les imposteurs et les voleurs qui en plus font de l’humanitarisme pour mieux dissimuler leur vraie nature.
Gangsters et imposteurs peuvent à présent se donner la main et travailler ensemble à dépouiller le pays de ses biens et salir ses valeurs. Ils participent à froisser et même porter atteinte à la réputation du Maroc cité comme le pays où, grâce à la corruption tous azimuts, tout s’achète et tout se vend. Quand le sang coule, c’est considéré comme un accident de parcours à inscrire dans le registre du passif.