Oui, je sais, «nul n'est prophète en son pays», et le cas de Mustapha Jmahri illustre à fond ce vieil adage : voilà un homme qui, depuis des décennies, passe sa vie professionnelle à ressusciter le passé de sa ville, l'antique Portus-Rutulis, la lusitane Mazagan (1502-1769), la marocaine Eljadida (en arabe «la Nouvelle», drôle de nom d'ailleurs pour une cité plus que bimillénaire). Oh ! certes les amateurs francophones d'histoire locale marocaine, connaissent plus ou moins les recherches de Jmahri, dont certaines ont été présentées par l'historien Guy Martinet, par le professeur Nelcya Delanoë, par l'essayiste Mohamed Ennaji ou le romancier Fouad Laroui. Cependant, au niveau moyen des enseignants marocains en Histoire ou à celui des étudiants dans cette spécialité, il est rare que le nom de Jmahri soit connu.
UNE DOCTORESSE POLONAISE
Idem chez les libraires de Casa ou Rabat, sauf exception bien sûr, où Jmahri souffre de cette «tare» : être édité au Maroc! Notre auteur en est pourtant, en cette année 2016, à son … dix-septième volume sur l'histoire jdidie ! Des volumes pas très épais mais très denses, en général illustrés, avec parfois une partie en arabe. Et en tout cas, ce sont des publications captivantes, notamment sur la période 1850-1950, quand Eljadida exportait des œufs des Doukkalas, par pleins bateaux, vers l'Europe occidentale ; quand Eljadida avait une active communauté israélite autochtone ; quand Eljadida possédait l'hôpital le plus performant de l'Empire chérifien, géré alors par la doctoresse polonaise Eugénie Delanoë, la «tbiba», qui fut durant 30 ans, pendant le temps protectoral, une sorte de «Lalla Mazagan», amie de Lyautey, indigénophile, mélomane, bonne plume, providence médicale des péripatéticiennes mazaganaises et j'en passe. Jmahri fait revivre cette belle figure de l'histoire franco-marocaine et cent autres dont des profils nationalistes, sportifs ou professoraux, et jusqu'à des familles de colons oubliés, sur lesquels Jmahri est allé enquêter en Europe, en bon journaliste de terrain qu'il est aussi.
L'ENTRÉE EN SCÈNE DU SULTAN MOHAMED III
«Vous voulez du roman ? - Lisez de l'Histoire !», conseillait Guizot, lui-même historien et alors ministre du roi français Louis-Philippe (1830-1848). Avec Si Mustapha on est servi et, même après avoir lu ses 17 volumes, on en redemande encore, on veut en savoir plus, notamment sur la re-marocanisation de la cité par le sultan Mohamed III (1757-1790), ce grand monarque trop méconnu des Marocains. Bref, Jmahri a encore du pain à pétrir et à livrer bien doré à ses lecteurs. Inchallah viendra bientôt le jour où le Tout-Maroc pensant donnera, lui aussi, un «coup de chapeau» à ce savant modeste, tout entier voué au tumultueux et chatoyant passé jdidi. Un passé sans lequel on ne peut guère comprendre l'époque actuelle.