Je n’en peux plus, je suis à bout … Depuis l’invention diabolique du portable, mahmoul, natel ou mobile, on n’est plus tranquille nulle part. Trains, bus, taxis, cafés, restaurants, jardins publics, plages, piscines, zoos, parcs d’attractions et même cinémas voire lieux de culte ( je l’atteste pour les églises, mais des orants m’ont affirmé que des sonneries intempestives avaient même retenti dans des mosquées …), partout on doit subir, depuis des années, en arabe, en français, en berberarabe, voire en espagnol, en bambara ou en ouolof, les bavardages, le verbiage, la logorrhée, la diarrhée verbale de gens racontant à haute, très haute voix leurs affaires privées ou professionnelles, comme s’il étaient seuls. Et avec parfois des détails intimes frisant l’indécence, de sordides histoires de fric, etc. Sans parler des maladies, des uns et des autres. Sans oublier les voix nasillardes, métalliques, criardes, un vrai supplice pour les oreilles.
L’autre jour j’étais seul dans un wagon de 1ère entre Casa et Rabat. Hélas ! à Aïn-Sbâa, au moment où je commençais à jouir du silence, où j’allais ouvrir un nouveau petit livre sur Tanger, « Socco » de Philippe Guiguet, et m’abandonner aux délices de la lecture dans un bon fauteuil, une dame genre « executive woman », pantalon noir, veste noire, lunettes noires, sac noir, est arrivée en jacassant déjà dans son portable mordoré. Je me suis dit : « Patientons, soyons galant, elle va sans doute finir sa communication et on sera tranquille … » Eh ! bien pas du tout, elle a continué à hurler ses affaires jusqu’à l’Agdal. Je m’étais déplacé à l’autre bout du wagon où, malheureusement, sa voix aiguë venait encore me fouailler. Et culot suprême, quand elle est passée près de moi avant de descendre, elle m’a lancé sur un ton ironique : « J’espère, Monsieur, que je ne vous ai pas trop dérangé – eh ! bien si, Madame, et si vous étiez bien élevée, vous auriez baissé le ton en mettant les pieds dans ce train. Et puisque vous avez l’air d’une femme moderne, vous devriez savoir que les portables dernier cri, comme le vôtre, permettent de parler très bas sans aucun inconvénient pour être bien entendu par son correspondant … ». La bavarde invétérée a haussé les épaules.
Le supplice sonore qu’elle impose, comme des milliers d’autres « portablomanes », à ses voisins de train ou d’ailleurs, est sans doute dû à son exhibitionnisme, maladie contractée en regardant les émissions de téléréalité, où chacun vient déballer ses drames personnels pour l’édification du reste de l’Humanité, une mode venue naturellement d’Amérique du Nord …
Suggestion :Les Chemins de fer de Chérifie devraient imiter certaines compagnies ferroviaires européennes ou asiatiques qui ont créé dans leurs trains des « wagons silence » où les portables doivent être éteints sous peine d’expulsion voire d’amende. D’une manière générale, on devrait pouvoir passer une partie de la journée avec son mahmoul fermé sans être aussitôt traité de « sauvage » ou d’« associal » …
Morale théorique :
La mondialisation « portablomaniaque » illustre à merveille les effets pervers d’une invention au départ géniale ; elle me rappelle ce mot d’un lord anglais des années 1970, lançant à Londres en pleine Chambre haute, à propos de je ne sais plus quels effets dommageables d’une innovation : « L’ennui, avec le progrès, c’est que quand on l’a déclenché, on ne peut plus l’arrêter … »
Morale pratique :
Après l’incident avec la dame ultrabruyante, j’ai recommencé à voyager en seconde dans la navette Casa-Rabat. Tout le monde bien sûr y est accro en permanence à son portable mais, dans le brouhaha général, mêlant toutes les conversations, en plusieurs langues, au moins on ne comprend plus le sens des bavardages et on se laisse « étourdir » par cette bouillie verbale sans queue ni tête… La vraie solution serait peut être que je recommence à utiliser mon auto entre Casa et Rabat, malgré la présence sur routes et autoroutes d’un autre danger bien connu des Marocains : les criminels du volant … Encore un sujet brûlant à traiter…